Passer au contenu principal

La Place des arts… et des hommes


La majorité des théâtres et des salles de spectacles au Québec portent le nom de « grands hommes ». Sans vouloir dénigrer ou minimiser leurs accomplissements et leurs contributions à la culture québécoise, la question se pose tout de même : pourquoi les femmes y sont-elles sous-représentées ?

Seulement à la Place des arts, par exemple, on retrouve plusieurs salles de spectacles et espaces culturels, or, pas une seule femme au programme toponymique : La Salle Wilfrid-Pelletier, le Théâtre Maisonneuve, le Théâtre Jean-Duceppe, la Salle Claude-Léveillée et la Cinquième salle (on a choisi un chiffre avant le nom d’une femme…), sans oublier l’Espace culturel George-Émile-Lapalme, anciennement le Hall des Pas perdus, qui connut un important réaménagement en 2011, rénové, renommé, bref, toute le kit… une autre belle occasion perdue. (Cet espace, soit dit en passant, est également un excellent endroit pour s’adonner à des manifs-solo ou quelconque performance artistico-politique, si jamais le cœur vous en dit - Sacrer au printemps…)

Ce phénomène de surreprésentation des hommes, voire de survalorisation de leurs accomplissements, au détriment de ceux des femmes, n’est pas exclusif à la Place des arts bien entendu. Un simple et rapide survol des différentes salles de spectacles au Québec a de quoi vous faire tomber en bas de votre chaise ou de vous donner la nausée. Loin d’être exhaustive – un jour, je vais m’y mettre -, en voici néanmoins un aperçu, simple échantillon, pêle-mêle, sans ordre précis :

Salle Pierre-Mercure (Centre Pierre-Péladeau), Amphithéâtre Fernand-Lindsay (Joliette), Théâtre Saint-Denis, Salle Albert-Rousseau (Sainte-Foy), Salle J.-Antonio-Thompson (Trois-Rivières), Salle Maurice-O’Bready (Sherbrooke), Salle André-Mathieu (Laval), Théâtre Marcellin-Champagnat (Laval), Théâtre Hector-Charland (Assomption), Salle André-Gagnon (La Pocatière), Salle Richard-Sauvageau (La Prairie), Salle Jean-Grimaldi (Lasalle), Théâtre Gilles-Vigneault (Saint-Jérome), Théâtre Lionel-Groulx (Sainte-Thérèse), Salle Jean-Marc-Dion (Sept-Îles), Salle Philippe-Fillion (Shawinigan), Salle Georges-Codling (Sorel-Tracy), Salle Félix-Leclerc (Val d’Or), Salle Désilets (Cégep Marie-Victorin), etc…

Des femmes ? Si, si, on en trouve quelques-unes tout de même, comme le Théâtre Denise-Pelletier ou encore la Salle Pauline-Julien (Sainte-Geneviève). Or on comprend vite, au premier coup d’œil superficiel, que les femmes y sont nettement sous-représentées par rapport aux hommes, alors qu’elles forment bien souvent la majorité dans ces secteurs d’activités.

D’autres salles de spectacles, elles, portent plutôt des noms pour ainsi dire neutres, soulignant leur fonction première, la ville, le lieu. C’est le cas, entre autres, du Grand théâtre de Québec, de la Maison symphonique de Montréal, La Maison des arts de Laval, Théâtre de la ville (Longueuil), La Maison Théâtre, ou encore des Maisons de la culture. Ça fait du sens. Dommage qu’on n’ait pas pensé à cette possibilité quand fut le moment de nommer la Maison de la danse à Montréal, en plein cœur du quartier des spectacles, alors qu'à Québec, eux, ils ont la Maison pour la danse.

La ronde des hommes 
Alors que les femmes sont pourtant très souvent majoritaires dans nombreux milieux artistiques, c’est le cas de la danse professionnelle notamment, on constate par ailleurs que les postes de direction sont généralement occupés par des hommes, leur poids pesant encore et toujours plus lourd dans la balance.

En 2017, planchant alors sur Je me souviens… de Ludmilla Chiriaeff, une pionnière, la plus grande dame de la danse que le Québec ait connue, j’ai voulu en avoir le cœur net et obtenir des réponses, quant au choix du ridicule nom de Wilder pour désigner la Maison de la danse à Montréal – un homme évidemment, n’ayant pourtant jamais œuvré dans le milieu de la danse - ni danseur, ni chorégraphe, ni aucune steppette de la sorte -, mais bien un commerçant, premier propriétaire de l’ancien immeuble. (Mentionnons au passage que la Bibliothèque de la danse, à Montréal, porte également le nom d’un homme, Vincent Warren. Ça ne s’invente pas…)

J’ai donc fouillé à gauche pis à droite, communiqué avec divers organismes culturels, dont le Ministère de la Culture, pour aboutir, avec un début de réponse, à la Commission de toponymie, dont j’ignorais jusque-là l’existence. Un gentil fonctionnaire de cette dernière prit effectivement la peine de m’appeler (et ce, dans un délai plus que raisonnable disons-le), me confirmant ce que je pressentais déjà dans cette « saga », ce drame culturel (du moins à mes yeux), soit que la décision avait été prise par les différents occupants de l’édifice, les dirigeants des organismes culturels, incluant le Ministère de la Culture et les autres, tout ça en présence de l’Office de la langue française.

Ces occupants incluent évidemment le toujours prestigieux et arrogant boys club des Grands Ballets canadiens de Montréal, qui arrivait, pour sa part, avec 13 millions d’arguments à la table, dans les poches et derrière la cravate, un généreux don de leur précieuse mécène et directrice de conseil d’administration, Mme Constance V. Patty - don, soulignons-le, qui allait « permettre à la compagnie de danse d’avoir son propre édifice, dans le Quartier des spectacles ». Ce poids financier précédait donc la prestigieuse compagnie de ballet à la table des discussions… Money talks, wouldn’t you say ?

Des sources sûres et fiables m’ont toutefois informée que quelques studios, à l’intérieur de l’« Édifice Wilder Espace Danse », portent le nom de femmes, d’anciennes danseuses pour la plupart… (Je n’ai pas moi-même vérifié ces informations, refusant catégoriquement d’y mettre les pieds, sauf pour y livrer personnellement un important message - Action directe – Journée internationale de la danse).

Or le problème, lui, demeure entier : tant et aussi longtemps que des hommes décideront entre eux, du nom de nos institutions, comme du reste d’ailleurs, pensez-vous sincèrement qu’ils mettront de l’avant et en lumière le travail des femmes, leurs œuvres, leurs réalisations, leurs accomplissements, et nommeront en plus des lieux en leur mémoire ? Permettez-moi d’en douter.

Quel que soit le milieu (artistique, politique, journalistique, sportif, et les autres), c’est la force du nombre qui l’emporte habituellement dans le pouvoir décisionnel, en plus de l'usuelle et incontournable « norme-testorérone ». Et cette surreprésentation des hommes dans les postes de « haute direction », et ce, dans des domaines occupés majoritairement par des femmes qui plus est, démontre clairement que le pouvoir, le vrai, demeure encore et toujours entre leurs mains, une farandole sans fin.

Et cette ronde perpétuelle des hommes en charge, en contrôle et au pouvoir, des boys clubs fort arrogants, dans certains cas, condescendants, sourds, prétentieux, voire abusifs, ne fait aucunement progresser la cause des femmes au Québec, leur représentation juste et équitable, la reconnaissance de leur travail, de leurs compétences ou même leur mémoire, leur place véritable dans les lieux publics, notre culture et notre histoire.

Et même en danse, tourner inlassablement en rond donne mauditement mal au cœur et ne mène nulle part.

*** 
« C'est ainsi, du reste, que se forment et se concentrent les cercles du pouvoir, ces "boys clubs" où les hommes décident entre eux, sans saisir parfois que c'est au détriment des femmes. Parce qu'ils ne cherchent pas plus loin que ce que leur dictent leurs préjugés conscients et inconscients, et qu'il est plus simple de continuer à se réserver les plus beaux bureaux, les meilleurs espaces de parking, les postes les plus prisés, les promotions les plus convoitées et, pour finir, les rênes du pouvoir. » - Marc Cassivi, La culture du LOL, La Presse, 17 fév. 2019.

Messages les plus consultés de ce blogue

Les fausses belles femmes

Après les Femmes poupées, femmes robotisées , voilà maintenant de fausses belles femmes dans un factice concours de beauté. Totalement artificielles, ces femmes, vous comprenez, ces différentes images ayant été générées par l’intelligence artificielle (IA) - (lire  Miss AI - Un podium de beauté artificielle ). Pour faire simple, il s’agit en réalité d’une vraie compétition toute féminine de la plus belle fausse femme créée par des hommes. Vous me suivez ? Non, on n’arrête pas le progrès. Ce sont majoritairement des hommes qui se cachent derrière la fabrication de ces images de fausses femmes. Des créateurs masculins qui passent sûrement d’innombrables heures devant un écran d’ordinateur à créer la femme idéale (ou de leurs rêves, allez savoir), à partir, on s’en doute, de leurs désirs, fantasmes, idéaux et propres standards de beauté – la beauté étant dans les yeux de celui qui regarde évidemment. Une beauté exclusivement physique, rappelons-le.  Même le jury est artificiel – ...

Mobilité vs mobilisation

On aime parler de mobilité depuis quelques années. Ce mot est sur toutes les lèvres. C’est le nouveau terme à la mode. Tout le monde désire être mobile, se mouvoir, se déplacer, dans son espace intime autant que possible, c’est-à-dire seul dans son char, ou encore dans sa bulle hermétique dans les transports collectifs, avec ses écouteurs sur la tête, sa tablette, son livre, son cell, des gadgets, alouette. On veut tous être mobile, être libre, parcourir le monde, voyager, se déplacer comme bon nous semble. On aime tellement l’idée de la mobilité depuis quelque temps, qu’on a même, à Montréal, la mairesse de la mobilité, Valérie Plante. On affectionne également les voitures, les annonces de chars, de gros camions Ford et les autres - vous savez, celles avec des voix masculines bien viriles en background - qui nous promettent de belles escapades hors de la ville, voire la liberté absolue, l’évasion somme toute, loin de nos prisons individuelles. Dans l’une de ces trop nombre...

Pour en finir avec Cendrillon

Il existe de nombreuses versions de « Cendrillon, ou, la Petite Pantoufle de verre », comme Aschenputtel,  ou encore « Chatte des cendres »... passons. Mais celle connue en Amérique, voire dans tous les pays américanisés, et donc édulcorée à la Walt Disney, est inspirée du conte de Charles Perrault (1628-1703), tradition orale jetée sur papier à la fin du 17 e  siècle. D'ores et déjà, ça commence mal. En 2015, les studios Walt Disney ont d'ailleurs repris leur grand succès du film d'animation de 1950, en présentant  Cinderella  en chair et en os, film fantastique (voire romantico-fantasmagorique) réalisé par Kenneth Branagh, avec l'excellente Cate Blanchett dans le rôle de la marâtre, Madame Trémaine ( "très" main , en anglais), généralement vêtue d'un vert incisif l'enveloppant d'une cruelle jalousie, Lily James, interprétant Ella (elle) dit Cendrillon (car Ella dort dans les cendres, d'où le mesquin surnom), Richard Madden, appelé Kit ...

« Femme Vie Liberté » Montréal 2024 (photos)

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour le port « inapproprié » de son voile, le mouvement iranien « Femme Vie Liberté » se poursuit...  ----- Photos  : Sylvie Marchand, Montréal, 15 sept. 2024  À lire  :  Malgré la répression, de nombreuses Iraniennes ne portent pas de hijab ( La Presse , 14 sept. 2024)  Iran : deux ans après la mort de Mahsa Amini, la répression « a redoublé d’intensité » (Radio-Canada, 15 sept. 2024)

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle p...