« Au nom du père, du fils et du capitalisme ». Voilà une des affiches que j’ai aperçues maintes fois durant tout le printemps froid et maussade. Elle était tantôt placardée dans les ruelles du Quartier Latin, tantôt quelque part sur le Plateau Mont-Royal à Montréal.
Le char en feu sur l’affiche se voulait également un joli clin d’œil à toutes ces voitures électriques de marque Tesla vandalisées ou brulées durant le printemps dernier. Un peu partout en Occident, des manifestants et des casseurs tentaient par là même de dénoncer les dérives autoritaristes de l’homme le plus riche au monde, Elon Musk. (Y a-t-il un véhicule plus laid que le Cybertruck de Tesla, d’ailleurs ? Mais qu’importe.) Elon Musk a depuis quitté la Maison-Blanche, en rupture avec son ami, le président orange. À suivre. Ils vont peut-être reprendre…
« Au nom du père, du fils et du capitalisme »
La Sainte Trinité de l’économie. Oui, Monsieur. Au masculin qui plus est. À l’instar des religions et du patrimoine, le capitalisme sauvage est lui aussi patriarcal. Créé par et pour des hommes, tout système économique patriarcal s’appuie et profite encore et toujours du travail invisible et bénévole des femmes.
Et encore aujourd’hui, ce sont des hommes qui sont au pouvoir. Des hommes qui se passent le flambeau du pouvoir, le retour des boys clubs. Nous sommes en 2025 et, pourtant, lorsque vous regardez des images et des photos de tous ces hommes qui règnent dans le monde, qui dirigent un pays ou un parti politique, on se croirait en 1950. Au sommet des plus grandes puissances du monde comme des plus dures et cruelles dictatures ? Des hommes. Encore.
Même pour l’élection d’un chef de parti, le plus vieux parti politique ici même au Québec, le Parti libéral, là encore que des hommes, que des candidats masculins. Non, Mesdames, nous ne sommes sorties du bois patriarcal. Des hommes au pouvoir comme en manque de pouvoir – au revoir M. Coderre. Insatiable et en manque de lumière.
« Au nom du père, du fils et du capitalisme ». Le marché, l’offre et la demande, les prix, les tarifs, la guerre commerciale, les guerres en général, la production, le PIB, les investissements, les retombées économiques et le reste, bref, l’économie, l’économie, l’économie… Quel parti politique sera celui de l’économie ? se demande-t-on à chaque maudite élection. It’s the economy, stupid, nous a-t-on clairement averti.
L’argent, l’argent, l’argent. Faire de l’argent, encore plus d’argent. Croître, prendre de l’expansion, faire des profits, « réussir sa vie » (matérielle), être millionnaire, devenir multimilliardaire, liberté 45. Voilà tout ce qui compte, tout ce qui intéresse la société au grand complet, le monde occidental et les autres qui rêvent d’y vivre, d’accéder enfin au « marché », aux supposées 1001 possibilités.
Au cours des dernières décennies, voire du siècle dernier, nous avons été brainwashés à penser en termes économiques. Nous avons été programmés, matés et dressés à utiliser le langage de l’économie, à adopter les termes et les mots du « marché ». Conditionnés comme des chiens de Pavlov, nous salivons à la moindre idée d’une récompense du marché (gains, dividendes, bénéfices, ristournes, etc.), de même qu’à espérer une baisse du taux directeur et, ensuite, hypothécaire.
« Au nom du père, du fils et du capitalisme ». N’est-ce pas, en effet, ce qu’est devenu le capitalisme ? Une religion ? Après avoir chassé la religion catholique et les curés de la paroisse d’un côté, et implanté des Caisses populaires à la place, de l’autre, nous nous sommes agenouillés devant les lois, les mécanismes et les cotes du marché, le Dow Jones, le Nasdaq, les fluctuations de l’or et du dollar.
Au nom de l’économie et de la sempiternelle croissance économique, on nous a fait croire pendant des années qu’il fallait sans cesse acheter, consommer davantage, pour atteindre le bonheur (toujours matériel), le nirvana capitaliste par la possession de biens. Aujourd’hui nous surchauffons sur cette planète polluée qui brûle à petits et grands feux, la cervelle remplie de plastique. À l’image des Tesla et du monde entier, la Sainte Trinité de l’économie va brûler elle aussi et partir en fumée.
« Le capitalisme comme religion » (1921)
Anticapitaliste et précurseur de la décroissance, Walter Benjamin (1892-1940) rédigeait déjà, en 1921, un texte intitulé Le capitalisme comme religion. Dans ce court texte qu’il avait écrit pour lui-même, qui n’était pas destiné à être publié, l’auteur allemand écrivait : « Le capitalisme est une religion du culte pur, sans dogme. »
Le culte de l’argent pour la simple possession. Seulement de l’accumulation. Nous sommes en réalité possédés par toutes ces possessions. « Une religion culpabilisante, sans expiation. »
« Culte de l’argent, marchandisation généralisée, relations sociales corrompues dans une société ravagée par les difficultés financières. »
Le capitalisme a imposé un système tarifaire, un monde où le prix, le coût de tout, absolument tout, empoisonne interminablement notre existence et nos relations avec les autres. L’inflation, le prix des maisons, l’accessibilité au marché immobilier, les « premiers acheteurs ». Nous ne sommes plus de simples citoyens, nous sommes des consommateurs, des « acheteurs potentiels ». Comme si le « marché » et l’économie allaient déterminer notre santé, notre bonheur, notre qualité de vie.
Bientôt, très bientôt, cette religion capitaliste va brûler avec le reste de la planète entière. « Au nom du père, du fils et du capitalisme ». Amen.
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« Les soucis : une maladie de l’esprit qui est propre à l’époque capitaliste. »
– Walter Benjamin (1892-1940)
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Photo : Sylvie Marchand, « Au nom du père, du fils et du capitalisme », graffiti et affiche, ruelle du Quartier latin, Montréal, mars 2025.