Passer au contenu principal

L’insoutenable désir de Narcisse


Narcisse à côté capote ces temps-ci (Les narcissiques sont parmi nous). Le pauvre homme ne sait plus où donner de la tête, « l’objet de son désir » ne voulant absolument rien savoir de lui. Et c’est là un état extrêmement insupportable pour le narcissique.

Grosso modo, l'être narcissique voit le monde en relation d’objets (sujet-objet), purement binaire, et donc dénué d'ambivalence (bon vs mauvais), tout en étant à la fois à la recherche constante d’un miroir pour se voir, s’admirer, s’aimer.

Car lui, le « bon sujet », se lève le matin, se regarde dans le miroir, s'apprécie, se trouve beau, bon, voire génial, superbe, excellent, exceptionnel et autre superlatif du genre. Il s’attend donc, en sortant de son minable appartement d'Hochelag’, tout comme de ses quartiers de la Maison-Blanche, à retrouver ce reflet de lui-même dans le regard d’autrui, ces bons objets qu’il rencontrera sur son passage.

Mais si l’objet en question ne lui renvoie pas cette belle image étincelante et édifiante qu’il a de lui-même, ou, pis encore, le critique ouvertement, il se trouve alors, pour un très bref instant, confus, hagard, effaré. Incapable de ressentir de la honte et de la culpabilité, le narcissique interprète dès lors cet inconfort, ce terrible « ressenti » fort désagréable et innommable à l'intérieur de lui, comme une cruelle attaque provenant forcément d’un « mauvais objet » situé, cela va sans dire, à l’extérieur de lui, en l’occurrence, l’autre.

L’autre devient conséquemment et sur-le-champ un « mauvais objet » répugnant, misérable, haïssable, à abattre. Alors qu’il vantait tantôt les mérites, les qualités et l'excellence dudit « bon objet » - pure projection de son bon sentiment à son endroit -, il le méprise maintenant sans réserve, le traitant de tous les noms, régurgitant ainsi sa hargne sur l’autre, sous formes d’attaques bestiales et de vilaines crises de colère.

Narcisse doit alors passer à un autre objet qui le trouvera bon. Et celui-ci demeurera un « bon objet » tant et aussi longtemps qu’il ne critiquera pas Narcisse d’aucune façon, ne remettra rien en question, qu’il s’agisse de sa personnalité, de son caractère, comportements, etc.

Or le hic avec le narcissique, c’est qu’il a fondamentalement besoin de ces objets autour de lui pour lui confirmer sans cesse qu'il est extraordinaire, spectaculaire, spécial, génial, et donc, aimable. Il n’existe qu’à travers le regard d’autrui, sa perception de lui-même en étant tributaire. Il a donc « besoin » des autres, non pas affectivement, mais seulement pour se regarder lui-même, se contempler dans leurs yeux.

Et si de « nouveaux yeux » finissent par manquer - du moins dans Hochelag’, car ce n’est pas la Maison-Blanche ici et que monsieur en question n’a pas de staff ni de roulement de personnel à ses côtés – il se retrouve éventuellement à court de gens, d’objets vivants ou de nouveaux voisins pour l'admirer. Il lui faut alors réhabiliter le « mauvais objet », d’une certaine manière, afin de se voir à nouveau dans ses yeux et s’apprécier grassement.

Pour ce faire, le narcissique entreprend alors toutes sortes de stratégies de survie, de viles et puériles manipulations pour attirer l’attention. Il parviendra même, à l'occasion, à se montrer gentil, courtois, serviable et généreux, en offrant des services et des « cadeaux ». Or il s’agit en réalité de bombes potentielles, de manoeuvres superficielles, somme toute, de cadeaux empoisonnés.

De fait, il est préférable, dans la mesure du possible et du concevable, de ne rien accepter d’un tel individu, car tout ça est calculé, orchestré, savamment comptabilisé. Et c’est à ce moment bien précis que Narcisse se met à capoter follement, lorsque vous refusez ces présumés « cadeaux » qui servaient en fait à vous réhabiliter à ses yeux…

L’objet de son désir, le regard de l’autre, n'est ainsi plus disponible pour « l’aimer » et donc s’aimer lui-même. Il proteste alors comme un enfant, en tapant du pied, en faisant des scénettes ou en commettant de nombreux actes dits agressifs-passifs, simplement pour vous rendre la vie misérable, insupportable.

La meilleure riposte ? L’indifférence. Ne pas broncher d’un poil ni d’un iota. Aucune réaction. Ne pas céder à ses enfantillages, ne pas jouer le jeu de la vengeance, ne pas contre-attaquer. Il faut essentiellement le laisser s’agiter comme un diable dans l’eau bénite, c’est-à-dire sans aucune attention de votre part. Car c'est là que se trouve le véritable enfer pour le narcissique : l'absence d'attention.

Pris dans sa propre impasse, dans la toile qu’il a tissée pour lui-même, Narcisse s’énerve, fait des crisettes immatures, tandis que votre tâche à vous consiste à esquiver ses attaques (verbales, symboliques, agressives-passives et autres) jusqu’à ce qu’il ait trouvé de nouveaux yeux pour l’admirer à sa juste valeur.

Ça aide aussi de respirer par le nez, de l'éviter, en attendant de s’en débarrasser complètement ou de s'exiler loin, loin, loin de lui.

***

Lien intéressant : Reporter: Ivanka believes her dad is 'good and only good' 
Basé sur l'article dans The Atlantic : Inside Ivanka's Dreamworld

(Évidemment, pour Ivanka, c’est un peu plus compliqué. Il ne s’agit pas, dans son cas, du minable concierge de son building, mais bien de son papa à elle, président des États-Unis qui plus est. Comment pourrait-elle exister ou même survivre sans le regard aimant du « bon » père…)

***

« Le narcissisme n’est pas capable de digérer une trop grande dose de culpabilité. Il la régurgite sous forme de rage. »
- Jesse Kellerman, dans Les visages (Sonatine, 2009)

Messages les plus consultés de ce blogue

Les fausses belles femmes

Après les Femmes poupées, femmes robotisées , voilà maintenant de fausses belles femmes dans un factice concours de beauté. Totalement artificielles, ces femmes, vous comprenez, ces différentes images ayant été générées par l’intelligence artificielle (IA) - (lire  Miss AI - Un podium de beauté artificielle ). Pour faire simple, il s’agit en réalité d’une vraie compétition toute féminine de la plus belle fausse femme créée par des hommes. Vous me suivez ? Non, on n’arrête pas le progrès. Ce sont majoritairement des hommes qui se cachent derrière la fabrication de ces images de fausses femmes. Des créateurs masculins qui passent sûrement d’innombrables heures devant un écran d’ordinateur à créer la femme idéale (ou de leurs rêves, allez savoir), à partir, on s’en doute, de leurs désirs, fantasmes, idéaux et propres standards de beauté – la beauté étant dans les yeux de celui qui regarde évidemment. Une beauté exclusivement physique, rappelons-le.  Même le jury est artificiel – ...

Les Grands Ballets canadiens et la guerre commerciale américaine

La guerre commerciale «  made in USA  » est commencée. De toutes parts, on nous invite à boycotter les produits et les services américains. Quoi ? Vous songiez aller en vacances aux États-Unis cette année ? Oubliez ça ! Il faut dépenser son argent au Canada, mieux encore, au Québec. Dans ce contexte, on nous appelle également à boycotter Amazon (et autres GAFAM de ce monde) ainsi que Netflix, Disney, le jus d’orange, le ketchup, le papier de toilette, etc. – nommez-les, les produits américains –, en nous proposant, et ce un peu partout dans les médias québécois, des équivalents en produits canadiens afin de contrer la menace américaine qui cherche ni plus ni moins à nous affaiblir pour ensuite nous annexer. Les Américains sont parmi nous  Pourtant, les Américains sont en ville depuis longtemps. Depuis 2013, en effet, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) offrent une formation américaine ( in English, mind you , et à prix très fort qui plus est) sur notre territo...

Pour en finir avec Cendrillon

Il existe de nombreuses versions de « Cendrillon, ou, la Petite Pantoufle de verre », comme Aschenputtel,  ou encore « Chatte des cendres »... passons. Mais celle connue en Amérique, voire dans tous les pays américanisés, et donc édulcorée à la Walt Disney, est inspirée du conte de Charles Perrault (1628-1703), tradition orale jetée sur papier à la fin du 17 e  siècle. D'ores et déjà, ça commence mal. En 2015, les studios Walt Disney ont d'ailleurs repris leur grand succès du film d'animation de 1950, en présentant  Cinderella  en chair et en os, film fantastique (voire romantico-fantasmagorique) réalisé par Kenneth Branagh, avec l'excellente Cate Blanchett dans le rôle de la marâtre, Madame Trémaine ( "très" main , en anglais), généralement vêtue d'un vert incisif l'enveloppant d'une cruelle jalousie, Lily James, interprétant Ella (elle) dit Cendrillon (car Ella dort dans les cendres, d'où le mesquin surnom), Richard Madden, appelé Kit ...

«Boléro» (2024), l’art de massacrer la danse et la chorégraphe

  Réalisé par Anne Fontaine ( Coco avant Chanel ), le film  Boléro  (2024) porte sur la vie du pianiste et compositeur français Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) durant la création de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre, le  Boléro , commandé par la danseuse et mécène Ida Rubinstein (Jeanne Balibar). Alors que Ravel connait pourtant un certain succès à l’étranger, il est néanmoins hanté par le doute et en panne d’inspiration.  Les faits entourant la vie de Maurice Ravel ont évidemment été retracés pour la réalisation de ce film biographique, mais, étrangement, aucune recherche ne semble avoir été effectuée pour respecter les faits, les événements et, surtout, la vérité entourant l’œuvre chorégraphique pour laquelle cette œuvre espagnole fut composée et sans laquelle cette musique de Ravel n’aurait jamais vu le jour.  Dans ce film inégal et tout en longueur, la réalisatrice française n’en avait clairement rien à faire ni à cirer de la danse, des fai...

Mobilité vs mobilisation

On aime parler de mobilité depuis quelques années. Ce mot est sur toutes les lèvres. C’est le nouveau terme à la mode. Tout le monde désire être mobile, se mouvoir, se déplacer, dans son espace intime autant que possible, c’est-à-dire seul dans son char, ou encore dans sa bulle hermétique dans les transports collectifs, avec ses écouteurs sur la tête, sa tablette, son livre, son cell, des gadgets, alouette. On veut tous être mobile, être libre, parcourir le monde, voyager, se déplacer comme bon nous semble. On aime tellement l’idée de la mobilité depuis quelque temps, qu’on a même, à Montréal, la mairesse de la mobilité, Valérie Plante. On affectionne également les voitures, les annonces de chars, de gros camions Ford et les autres - vous savez, celles avec des voix masculines bien viriles en background - qui nous promettent de belles escapades hors de la ville, voire la liberté absolue, l’évasion somme toute, loin de nos prisons individuelles. Dans l’une de ces trop nombre...