Le propriétaire de l’immeuble miteux où j’habite dans Hochelaga-Maisonneuve (aka Hochelag’) est un homme qui vit miraculeusement sans colonne vertébrale dans l’ouest de la ville. Le « boss icitte », celui qui mène la baraque, c’est Arnold, le concierge, un être imbuvable qui débute beaucoup trop de phrases par « chu pas raciste, sauf que… » avant de vous balancer des énormités à propos des « races pis des importés ». « On dit des immigrants, colon, de nouveaux arrivants. » Évidemment, Arnold ne m’entend pas. Il n’écoute personne d’ailleurs, sauf sa propre voix brulée par le tabac, l’alcool et l’ignorance.
Depuis plusieurs mois déjà, je mène auprès de cet énergumène une dérisoire étude socio-psychologique sur les comportements narcissiques, live, in vivo, à l'étage supérieur de la bâtisse ainsi qu’à travers le mur mitoyen qui sépare nos appartements, de minuscules 3 ½ que j’appellerais plutôt des 2 ¼, mais qu’importe.
Car en plus d’être raciste, le pauvre homme est définitivement narcissique, peut-être même histrionique (ça reste à confirmer), misogyne qui plus est, mais ça, c’est un autre dossier.
Ma pseudo-recherche n’a absolument rien de clinique. Mais elle me permet néanmoins de taquiner le poisson, de l’observer de plus près dans son habitat naturel, de comprendre un tant soit peu ces gens envoûtés par leur propre image. « Je suis un génie incompris », n’hésite-t-il pas à clamer à qui veut bien l’entendre, d’où son pseudonyme Narcisse dans mon cahier de « notes et observations », histoire de demeurer objective, rigoureuse et ainsi maintenir l’anonymat du sujet.
Pourquoi se donner tant de mal avec ce nigaud? Parce que les narcissiques sont partout. Et quoique je n’aie pas vérifié les dernières statistiques du DSM*, je mettrais ma main au feu que la prévalence de ce trouble de la personnalité a fortement augmenté au cours des dernières décennies, fruit de notre société ultra-individualiste, terreau fertile à leur prolifération. « Je », « j’aime », « je suis », j’existe, I-machins, égoportraits. Je, je, je. Moi, moi, moi. Da, da, da.
N’a qu’à regarder le monde dans lequel on vit d'ailleurs, ou juste le président de nos voisins du Sud – non, on le nommera pas, je sais, on est pu’ capable de l'entendre. Mais malgré l’écœurantite aiguë dont nous souffrons tous (enfin, une très forte majorité de la population), l’omniprésence de cet abruti, ce fou furieux – les experts en la matière ne s’entendent toujours pas sur le diagnostic ou le sujet malade lui-même, i.e. le président ou la société qui l’a élu -, a permis de mettre en lumière l’absence totale d’empathie qui caractérise, entre autres, les êtres narcissiques, mythomanes, mégalomanes et autres pervers de la même espèce, s’accrochant désespérément à leur amour-propre, à la glorification de leur petit moi, ego astiqué au torchon de la célébrité.
Il y en a eu d’autres avant lui, cela va de soi. Mais cette fois-ci, peut-être comme jamais auparavant, le monde entier est à même d’observer de très près le phénomène - cette incapacité à ressentir de la compassion pour autrui, voire de simples émotions primaires -, saisir de quoi est faite l’abjecte domination, à quoi ressemble un tyran, et ce, live, in vivo, dans l’espace réel comme dans le virtuel, sans grosses études cliniques à l'appui.
Les êtres humains du 21ième siècle arrivent maintenant à reconnaître que ce n’est pas tout « d’être le boss », un p’tit boss des bécosses avec des idées de grandeur, mais surtout, et plus important encore, que la capacité à gérer, à diriger, à mener à bien des projets, et donc, certainement, à gouverner, exige indubitablement de la sensibilité, de l’intelligence émotionnelle l'appelleront d’autres, bref, la capacité à ressentir des émotions, à les identifier, les nommer, et, pour ce faire, être à l’écoute de l’autre. : :
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* Tiré de l’anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), le DSM est la « bible » des psychiatres et clinicien.ne.s en Amérique, ouvrage de référence toujours grandissant, alimenté par les fortunées compagnies pharmaceutiques.