Ce sont majoritairement des hommes qui se cachent derrière la fabrication de ces images de fausses femmes. Des créateurs masculins qui passent sûrement d’innombrables heures devant un écran d’ordinateur à créer la femme idéale (ou de leurs rêves, allez savoir), à partir, on s’en doute, de leurs désirs, fantasmes, idéaux et propres standards de beauté – la beauté étant dans les yeux de celui qui regarde évidemment. Une beauté exclusivement physique, rappelons-le.
Même le jury est artificiel – à l’exception de quelques vrais humains, comme Sally-Ann Fawcett, une adepte britannique de cet univers sexiste depuis des décennies.
Le plus étonnant, dans ce nième concours de beauté féminine on ne peut plus superficielle, est que ces fausses femmes doivent également promouvoir de bonnes valeurs, s’impliquer dans de vraies causes, le jury étant « à la recherche d’une gagnante "qui a un message important à transmettre au monde"… ». Vous savez ? « World peace », la paix dans le monde, la justice sociale, ce genre de choses.
Pour illustrer, l’une des 10 finalistes au concours de Miss AI, avec qui la journaliste de La Presse a pu « s’entretenir », s’appelle Anne Kerdi. Madame Kerdi, de son faux nom s’entend, « est une jeune Bretonne amoureuse de son coin de pays, dont elle fait la promotion avec enthousiasme sur sa page Instagram. La brunette [notons ici qu’on réduit la fausse femme à la couleur de sa fausse chevelure] y publie des photos d’elle, souriant de toutes ses dents très blanches, posant au parlement de Bretagne, près d’un voilier à Saint-Malo ou donnant une conférence à Brest. » Anne Kerdi pose aussi devant la statuette Manneken Pis, à Bruxelles, en Belgique, mais qu’importe. Cette femme n’existe pas. Pas plus que le décor derrière elle. Un montage visuel.
Sois fausse, belle et soumise
On apprend également, dans cet incroyable article de presse, que la fausse femme arrivée en deuxième place de ce concours presque intelligent, « Lalina », offre aussi des photos nues d’elle, de même que des services de « clavardage osé » en ligne (contre rémunération bien entendu) sur une plateforme quelconque, et ce, 24 heures sur 24. Évidemment, Lalina est disponible en tout temps puisqu’elle ne dort pas. Cette femme n’existe pas !
Comme quoi, même dans le monde extrêmement superficiel de l’intelligence artificielle, les fausses femmes sont soumises aux dictats patriarcaux, demeurant des objets sexuels. L’exploitation sexuelle des femmes est et sera toujours à portée de main.
Mais le plus intéressant, voire révélateur, dans cette histoire abracadabrante – et pourtant mentionné nulle part dans ce vrai article de La Presse –, est que la grande « gagnante » de ce concours est une femme voilée.
Kenza Layli, en effet, est non seulement une superbe Marocaine totalement fausse, mais aussi une bonne musulmane qui porte religieusement et rigoureusement le voile islamisque. Et pas un simple fichu ou un ample foulard, mais un hijab plus strict encore (al-amira ou khimar) dont le bandeau au front prévient toute évasion d’une possible mèche rebelle. Autrement dit, aucune rébellion (ni même capillaire) ne pointe à l’horizon. Pourquoi pas une belle fausse femme portant le niqab ou la burqa, tant qu’à y être ?
Il faut donc en déduire, à partir de ce grotesque concours de beauté de femmes fictives, que le « message important à transmettre au monde » est que la belle femme idéale porte clairement un voile islamique, symbole visible de l’oppression des femmes partout dans le monde. Voilà une véritable insulte au visage de millions de vraies femmes persécutées à travers le monde.
En somme, qu’elle soit réelle ou artificielle, la femme idéale et idéalisée devrait se soumettre aux dictats de beauté, aux désirs des hommes, de même qu’aux lois de religions sexistes et misogynes, fabriquées de toutes pièces, elles aussi, par des hommes.