Le monde est malade, man. Le monde ne va clairement pas bien, c’est certain. Partout où vous allez, c’est écrit, dit ou exprimé quelque part : « Aucune forme de violence ne sera tolérée ».
Vous montez dans le bus ou passez la barrière du métro ? « Interdiction de menacer, d’injurier, de cracher. Aucune forme d’agression ne sera tolérée ». Ayoille.
Vous appelez pour un service quelconque quelque part, à la Ville ou au gouvernement du Québec, même chose, même rengaine. Un long (parfois très long) message ou un avertissement précédent le contact avec un agent ou une préposée du « service à la clientèle » vous demandant gentiment politesse et courtoisie : « Nos échanges sont basés sur le respect et la courtoisie. Nous ne tolérons pas… ».
C’est partout, je vous dis. Dans l’autobus, dans le métro, au guichet d’information quelque part, à la bibliothèque, au comptoir des abonnements, etc., partout quoi. « Soyez respectueux avec l’agent… »
À la Grande Bibliothèque, il y a même une affiche sur le comptoir rappelant aux gens de sourire en passant : « Léa nous rapporte 4 livres, 3 BD, 2 films et un sourire ! La bienveillance, c’est l’affaire de tout le monde ! »
Ça l’air qu’il faut le dire. Partout. Depuis la mautadite pandémie. Il faut croire que le monde est impoli et pète facilement un plomb. Partout où vous allez, d’ailleurs, vous sentez que les choses peuvent très vite virer, s’envenimer, s’enflammer, exploser.***
Moi aussi, par moments, j’aurais envie de péter un plomb et d’envoyer promener les gens. Mais je me retiens. Je respire profondément et me répète sans cesse qu’il faut incarner ce monde que nous souhaitons voir autour de nous. Comme se lever et céder sa place dans le transport collectif pour une personne plus vulnérable. Ou encore en demandant à quelqu’un s’il a besoin d’aide avec ses sacs pour monter l’escalier. Ce genre de choses. Mais plus souvent qu’autrement, je me retiens de péter les plombs et d’insulter les colons tout en exigeant le respect, calmement mais fermement.
Comme cette semaine, dans le métro bondé, j’avais juste envie de crier et d’insulter ces trois crétins, mais je me retiens. C’est l’heure de pointe. Les gens sont debout. Nous sommes coincés comme des sardines mais, mais… il y a pourtant une place, un siège de libre. Il n’est pas vide, le siège, mais il est disponible. Les gens sont debout autour du siège et ne disent rien.
Car une jeune femme immonde de style « princesse » ou « Total-Queen-Bitch » à ses heures (Yo) a décidé de monopoliser le siège à côté d’elle pour mettre ses petites affaires de princesse superficielle et de laquelle émane une fausse confiance en elle, une « surconfiance so fucking fake, yo, bitch ! »
Les gens ne disent rien. Les usagers deboutte autour d’elle ne font rien. Car ils savent très bien que le moindre commentaire peut vite virer en une situation insupportable, une « affaire » interminable ou, pire, une altercation. Ça, le peuple mou n’aime pas ça. Or, pour ma part, je ne peux pas supporter ni tolérer ce genre de comportement. Et, surtout, j’ai vraiment envie de m’asseoir. Et ça tombe vachement bien car il y a justement une place disponible. Folle d’une poche.
« Vous ne voulez pas vous asseoir, madame », demandais-je à la dame debout juste à côté du siège occupé par un sac qui me répond avec une moue lasse et insignifiante à souhait (qui signifie « mais que voulez-vous, la fille ne veut pas enlever son sac ! ») Pas capable.
En moins de deux, j’étais sur son cas. Je me lançai à l’assaut du siège libre que personne n’osait réclamer car une jeune adulte insolente avec ses faux cils, ses faux ongles et ses fausses extensions dans les cheveux a posé son sac rempli d’autres extensions capillaires sur le siège à côté d’elle.« S’cusez ! » Elle fait semblant de ne pas me voir ni de m’entendre, mais j’insiste. « S’cusez ! » poursuivis-je avec un geste de la main signifiant « enlève ton crisse de sac, connasse ! », ou, si vous préférez, « merci de bien vouloir retirer votre sac par courtoisie pour les autres usagers ». Elle le retire et le dépose sur ses genoux. Je m’assois, bien droite. Les deux autres jeunes en face de nous rient. Mais j’en ai rien à foutre.
Une station de métro plus loin, le jeune en face tire nonchalamment un coup sur sa vapoteuse. « Heille ! Tu ne peux pas vapoter dans le métro ! » intervenais-je en beau fusil. « Ah, ok. » Les deux connards gloussent à nouveau ensemble. Idem, j’en ai rien à cirer.
La fille fait glisser des images sur son téléphone à la vitesse grand V, tout en « aimant » chacune d’elles sans jamais les regarder. Elle parle à son ami à côté pendant que son pouce, sur une sorte de pilote automatique, clique et clique encore, likant « comme genre… » toute.
Ils me surveillent du regard pour vapoter à nouveau discrètement. Mais, pauvres eux, je ne les lâche pas des yeux. Même que je les mitraille du regard avec mon air bête habituel et complètement assumé. Non, je ne me réfugie pas dans mon téléphone pour éviter une situation malaisante ou pour me sauver mentalement. Non. Je reste là, bien en place, droite, dans leur face, frontale, et même, le cas échéant, prête à me battre.
Intense, la madame, vous dites ? Ça s’appelle communément, du moins, dans certains endroits publics au centre-ville de Montréal, « You don’t wanna fuck with me, my dear ». C’est tout l’art du langage non-verbal. Des décennies de danse, il faut bien que ça serve encore à quelque chose...
La jeune femme debout, celle qui n’a jamais osé demander la place, me fait un mince sourire d’approbation. J’espère que cette situation lui servira à elle aussi de leçon.
Car dans la vie, ma belle, surtout par les temps qui courent, lorsque vous voulez le respect, eh bien, il faut le dire clairement, l’exprimer, voire l’exiger, et ce, sans jamais crier ni insulter personne. Juste l’exprimer clairement tant verbalement que physiquement. Comme ça, vous pouvez ensuite sortir fièrement du métro la tête bien droite, haute, tout en leur lançant un joli sourire (on ne peut plus baveux) en passant devant eux. Respect, bande de petits cons.