Jeudi le 6 août 2015 avait lieu le premier débat télévisé entre les candidats aux primaires républicaines pour la Maison-Blanche. Sur la scène, que des hommes, dont Donald Trump, une vedette de téléréalité peu habituée à partager la scène et la lumière. Durant ce débat, celui qui allait devenir le 45ième président des États-Unis en 2016 fut interrogé par l’animatrice et journaliste de Fox News, Megyn Kelly, sur son rapport aux femmes, lui citant au passage des insultes et des propos misogynes qu’il avait tenus dans l’espace public. Piqué au vif, Donald Trump déclara, après le débat, avoir été avait traité « injustement » (« unfair ») par la populaire animatrice. Fidèle à son habitude, Trump s’empressa, durant la nuit suivant le débat télévisé (à 3h40 du matin précisément), à déverser son fiel sur les réseaux sociaux, qualifiant la journaliste de « pas très bonne et professionnelle » et de « bimbo », soit une simple « pétasse » ou « ravissante idiote ».
Le lendemain du débat, qui plus est, alors en entrevue téléphonique à CNN avec Don Lemon, Donald Trump poursuivit sa furieuse et sanglante invective contre l’animatrice en affirmant abruptement : « You could see there was blood coming out of her eyes, blood coming out of her… wherever. » (« On pouvait voir du sang sortir de ses yeux, du sang sortir de son… où que ce soit. ») Manifestement, Donald Trump voyait rouge… Car la journaliste avait eu le culot de le questionner au sujet de son traitement des femmes. « Tout en affirmant ne pas se souvenir d’avoir utilisé des mots comme "chienne", "grosse truie" et "dégoûtante" pour dénigrer des femmes, Donald Trump a semblé mettre sur le compte du cycle menstruel de l’animatrice de Fox News Meg Kelly ses questions sur sa misogynie présumée lors du débat télévisé de jeudi soir [6 août 2015] entre les candidats républicains à la présidence. » (Trump et les menstruations de Meg Kelly, La Presse, 8 août 2015). Et Megan Kelly en paya cher le prix.
En évoquant ainsi sur la place publique les possibles menstruations de Megyn Kelly – un sujet particulièrement tabou, rarement discuté en privé, encore moins publiquement –, Donald Trump tentait une fois de plus de ridiculiser et de discréditer une énième femme, en sous-entendant par là même que la journaliste n’était pas tout à fait elle-même ce jour-là, pire, qu’elle était complètement à côté de la plaque, lui posant « toutes sortes de questions ridicules ».
Car une femme qui « saigne » (lire, qui a ses règles) est toujours un peu « malade », inapte, incapable, dysfonctionnelle, détraquée, déréglée, et ce, tant physiquement que mentalement. Depuis la nuit des temps, les règles et le sang menstruel ont été associés à la maladie, à la pathologie ou encore à une blessure interne que portent toutes les femmes, confirmant l’infériorité du «sexe faible» par rapport aux hommes forts.
Plus encore, comme le prétendait faussement celui qui allait devenir l’homme le plus puissant de la planète, que ce sang émerge des « yeux », des oreilles, du nez, du vagin ou de quelconque organe ou orifice du corps de la femme, celle-ci apparait toujours comme une créature irascible, instable, dangereuse, sauvage, beaucoup plus près de l’animal que de l’homme posé et rationnel qu’incarnent habituellement les hommes en position de pouvoir et d’autorité – à l’exception de Donald Trump, bien entendu.
En plus d’en faire une « affaire hormonale » nationale, voire internationale, à propos des possibles règles de l’animatrice, le langage employé par Donald Trump pour insulter et stigmatiser des femmes est tout aussi parlant. En utilisant des mots comme « chiennes » (« dogs » ou « bitch »), « grosse truie » (« fat pigs »), « porcs » (« slobs »), « folle » (« crazy ») ou encore « animaux dégoutants » (« disgusting animals ») carrément, Donald Trump tente tout simplement et brutalement de réduire ces femmes (comme nombreux immigrants) au rang d’animal, à les reléguer encore à leur corps, à leur apparence physique, à leur bestialité, voire à leur fonction biologique de reproduction – un discours bien connu, porté par la pensée dualiste.
En 1985, bien avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, l’auteure et journaliste française Françoise Edmonde Morin écrivait, dans La rouge différence ou les rythmes de la femme : « Évoquer le sang des règles dans cet état d’esprit, c’est replacer la femme dans l’ordre de l’animalité et l’y cantonner. Elle est déléguée de l’espèce humaine à l’animalité, parce que domine dans l’esprit de l’homme l’idée que le progrès passe par l’éloignement de la matière, du corps. C’est la vieille division chrétienne des sexes où l’homme est l’esprit pur, celui qui transcende la matière et où la femme est vouée à incarner et à subir toutes les décompositions organiques. »
C’est aussi la bonne vieille division des sexes que l’on retrouve dans la pensée cartésienne (« je pense donc je suis ») qui teinte tout le discours scientifique. C’est aussi la bonne vieille division des sexes qui domine les discours religieux, philosophique, politique, etc., réduisant inlassablement les femmes à leur corps.
« Grab them by the pussy »
Depuis 2015, les nombreux propos misogynes, sexistes et réducteurs de Donald Trump ont été dénoncés. Chaque fois, plusieurs affirmaient qu’il signait sans doute ainsi la fin de sa carrière politique aux États-Unis. Et pourtant, celui qui a déclaré qu’il pouvait attraper les femmes « par la chatte » règne toujours en grand animal au sommet de ce puissant pays jadis égalitaire et démocratique.
Comme quoi le combat féministe est loin d’être terminé. Ni le règne bestial et brutal de ce mâle alpha orange, entouré de multiples petites bêtes sauvagement trumpistes.
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« Plus un objet est associé au corps, à la vie quotidienne et aux femmes, moins vous aurez de chance d’en entendre parler. Plus il est associé à l’esprit, à l’extraordinaire, à des hommes blancs, riches et vivant dans un pays du Nord, plus vous aurez de chances qu’on vous en rebatte les oreilles. »
– Jeanne Guien, Une histoire des produits menstruels (2023)