« Ah mon Dieu, Seigneur, Jésus. Maudit que le monde m’énarve ! », me dis-je en mon for intérieur.
Je vais à l’église, donc, non pas pour les rituels religieux mais pour le lieu. L’endroit m’apparait parfait pour méditer (transcendentalement ou non) ou simplement pour s’arrêter un moment et réfléchir à sa vie, notamment.
Parfois, sur le perron de l’église, il y a un mendiant, un itinérant, des quêteux ou des robineux, bref des « gensses » sans aucune importance ni influence qui fréquentent ce quartier mal famé du centre-ville de Montréal. Comme cet homme édenté, avachi dans l’escalier, qui demande de l’argent aux passants. Comme je suis passée sans rien lui donner, il était furieux. Il gueula alors : « Ostie d’hypocrite ! Tu vas l’donner au curé, ton argent ! » « Bonne journée à vous aussi, là ! » Ce malingre homme ne m’effraie aucunement. Je le croise régulièrement dans la station de métro juste à côté, en train de consommer des drogues dures dans un coin du quai.
Une fois à l’intérieur de l’église, je m’assois à ma place, ferme les yeux et plonge en moi en silence. Autant que faire se peut, j’essaie de balayer ces nombreuses idées qui inondent mes pensées, un tsunami de mots, de sujets et de scènes hypothétiques parfaitement inutiles qui montent en trombe dans la conscience, monopolisant ainsi l’esprit. Simplement parvenir au silence mental, bonne chance.
« La méditation consiste à se dépouiller de toute expérience », écrivait Krishnamurti dans La Révolution du silence (Stock, 1971). « C’est en vérité un état de pure attention, d’où surgit une félicité, une extase qui ne peut être mise en mots. » L’extase ? J’essaie juste d’être calme. Et en plein centre-ville de Montréal, c’est déjà pas mal.
Par moments, j’attends simplement que quelque chose en moi se lève, me parle, m’inspire, guide mes pas. En lieu et place surgit ce jour-là un bruit immonde, un tapage épouvantable. Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! C’est le pauvre homme de tantôt qui revient à la charge. Il frappe violemment à la porte menant au déambulatoire de l’église. Une des employées arrive en courant, lui ordonnant d’arrêter tout de suite ce vacarme.
En beau fusil, l’homme crie : « J’veux parler à M’sieur l’curé !
– Sortez maintenant !
– J’veux parler à M’sieur l’curé, j’te dis !
– Il n’est pas là.
– Toé, mon [espèce] de chienne ! …
– Sortez maintenant ou j’appelle la police ! »
Ce qu’elle fit sur-le-champ à l’aide de son cellulaire. Toujours en beau maudit, l’homme se dirige en pestant vers la sortie.
« Aïe, aïe, aïe !, pensais-je de nouveau tourmentée par la scène. Pas moyen d’avoir la paix icitte ! »
Croyances, obsessions et compulsions
D’autres fois, pendant ma méditation, c’est le chapelet qui commence. Durant environ 30 minutes, les participants débitent leurs « Je vous salue Marie » entrecoupés des autres prières. J’entends à peine ce qu’ils marmonnent – j’ai des bouchons dans les oreilles. Jusqu’à ma cervelle parvient seulement une vague de mots insondables, sorte de récitation répétitive en sourdine.
Or, toutes ces prières répétées en boucle ne relèvent-elles pas d’une sérieuse compulsion, voire d’un trouble obsessionnel-compulsif ? N’est-ce pas à cela, en fait, que servent les religions ? À apaiser le corps et l’esprit en répétant sans cesse les mêmes phrases, les mêmes gestes, les mêmes rituels ? En ce sens, une religion serait un anxiolytique de type placebo par la foi et la croyance. Ce n’est pas là un jugement de valeur, mais une simple observation. Certaines personnes passent des heures dans des studios des danse à répéter les mêmes pas, les mêmes gestes, les mêmes mouvements et chorégraphies. D’autres récitent en boucle des prières, égrènent un chapelet, répètent les mêmes gestes et rituels dans une église, une synagogue, une mosquée, un temple ou autre lieu de culte. Chacun ses obsessions, chacun son rituel spatiotemporel, chacun son trip personnel. Et si tout cela, en plus, vous apaise intérieurement et ne fait de mal à personne…
Dans Essais sur la croyance et l’incroyance (Bellarmin, 2005), Pierre Vadeboncœur (1920-2010) écrivait : « Nous avons absolument besoin de croyance. Voilà le contraire de ce que soutient la société occidentale depuis les Lumières. La croyance ne garantit rien de ce qui est cru. Mais là n’est pas la question. Il faut savoir que l’imagination supérieure d’une foi est au principe de quelque chose de tout à fait réel, art, pensée inédite, nouvelle présentation du monde, toutes choses bien concrètes. »
Plus loin, l’auteur ajoute : « L’irrationnel gouverne l’art, c’est-à-dire l’activité de l’aveugle croyant qu’est tout artiste. Les œuvres de ce dernier sont son but, et il n’a pas à rendre compte du bien-fondé de son initiale inspiration, non factuelle, hypothétique, plus ou moins imaginée. Il n’en sait pas grand-chose de toute façon. Il est rendu là où il crée et cela seul lui convient. »
Alléluia.
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Extrait de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke (1875-1926) :
« … soyez attentif, en tout cas, à ce qui se lève en vous, et mettez-le au-dessus de tout ce que vous remarquez autour de vous. Ce qui advient au plus profond de vous est digne de tout votre amour, c’est à cela que vous devez consacrer votre travail, au lieu de perdre trop de temps et d’ardeur à éclaircir votre position vis-à-vis des hommes. »
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Photo : Sylvie Marchand, Montréal, sept. 2025.