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Les éternels enfants (et l’indépendance du Québec)

Enfants, nous rêvions d’être grands. Nous attendions impatiemment ce moment. Plus que tout, nous désirions devenir des adultes au plus vite, au plus sacrant, le plus rapidement possible. Être un adulte signifiait avoir enfin la paix! Être enfin libres, autonomes, indépendants. Plus personne pour nous dire quoi faire, quand manger, à quelle heure prendre son bain pis aller se coucher. La paix, je vous dis ! La liberté, l’autonomie. 

Devenir un adulte voulait également dire être totalement libre d’explorer le monde comme bon nous semble, peut-être même le conquérir, le façonner mais, surtout, se réaliser comme individu, en haut de la pyramide de Maslow. La réalisation de soi, quoi. 

Étonnamment, depuis quelques années maintenant, cette tendance semble avoir nettement changé. Même qu’elle a fait demi-tour, exécuté un 180 degré. Dans l’espace public, on ne compte plus le nombre de jeunes adultes (et de pas mal moins jeunes adultes) qui s’habillent comme des enfants ou d’éternels adolescents. Des hommes (très) matures qui portent fièrement des jeans troués en bas des fesses, des baskets aux pieds, un hoodie sur la tête ou bien une casquette à l’envers. Des femmes d’âge mûr qui arborent des nattes, des tresses, pire, des lulus ! Certaines d’entre elles déambulent avec de jolis écouteurs colorés, ornés de ludiques oreilles de lapins, des barrettes pour fillettes ou des gros rubans roses pour enfants dans les cheveux. Oui, madame. 

Plusieurs de ces éternels adultes-enfants s’habillent en mou, en coton ouaté – s’ils ne sont pas carrément en pyjama dans l’espace public –, tout en trimbalant des sacs de marque clinquante d’où pendent des peluches, des toutous, des licornes et d’autres cossins fluos recouverts d’étincelantes paillettes qui devraient faire fureur auprès des enfants à la maternelle seulement – bon, d’accord, jusqu’au primaire, mettons. 

Ces grands gamins d’âge adulte se promènent également avec des bébelles de couleurs pastel, des objets infantiles, puérils et superficiels à souhait, leur sac parsemé d’images et de brillants autocollants de princesses, de minous, de pitous, de cornets de crème glacée rose ou arc-en-ciel, ainsi que des peluches, des poupées ou des personnages de mangas. Mais que vient faire Pikachu et Labubu dans votre vie d’adulte, bon sang ? 

Est-ce que tous ces cossins enfantins vous servent en réalité (et symboliquement) d’« objets transitionnels » à la Winnicott pour gérer votre anxiété et votre stress lorsque vous sortez de votre douillet cocon ? Il existe même des peluches pour adultes. Dernièrement, dans le métro, un homme portant jupe et barbe avec un gros ourson dans les bras. La totale. 

Comment expliquer ce phénomène, si ce n’est la peur de quitter définitivement l’enfance, un désir inconscient (ou pas du tout) de demeurer éternellement un enfant ? Tous ces gens souffrent-ils du syndrome de Peter Pan des années 1980? Vous savez, cette angoisse de devenir un adulte ? Ou sont-ils juste irresponsables ? 

Un enfant, par nature et définition, est un être en développement. Il n’a aucune responsabilité en plus d’être foncièrement égocentrique. « Moi, maman ! Moi, papa ! Moi, moi, moi ! » C’est dans l’ordre des choses, comme celui du développement humain, qu’un enfant soit nombriliste, égocentrique et qu’il ne connaisse rien encore à la vie ni à ses horreurs et atrocités. 

Voilà pourquoi, d’ailleurs, nous avons besoin d’autant d’adultes pour encadrer des enfants ; des gardiennes, des nounous, des éducatrices, des enseignantes, des spécialistes du comportement, etc., pour élever, éduquer, accompagner des enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte et qu’ils se réalisent pleinement et, surtout, se responsabilisent comme des grands. 

Mais une fois adulte, pourquoi rester dans l’enfance, si ce n’est la crainte d’avoir à affronter la vraie réalité et d’avoir des responsabilités ? Comment voulez-vous que des adultes qui se sentent perpétuellement comme des enfants s’engagent dans la société, relèvent les défis qui nous attendent, se battent pour la justice sociale, s’ils n’ont pas, eux-mêmes, atteint la maturité nécessaire pour évoluer? 

Comment voulez-vous que des adultes-enfants luttent pour les droits d’une nation, la reconnaissance d’un peuple et l’indépendance d’un presque pays, s’ils ne sont pas eux-mêmes, comme individus, libres, autonomes et émancipés ?  

Comment voulez-vous qu’une nation voie le jour si les citoyens qui la composent n’ont même pas atteint leur propre autonomie individuelle et une certaine indépendance d’esprit ? 

Chaque fois que je vois des adultes-enfants dans l’espace public, avec leur sacoche rose ornée de toutous, de collants enfantins et de cossins scintillants, je me répète toujours la même affaire, c'est immanquable : « On ne fera jamais de pays avec c’te monde-là ! » C’est lamentable, mais c’est aussi simple que ça.

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