En 1644, le physicien et mathématicien italien, Evangelista Torricelli (1608-1647), inventait le baromètre à mercure. S’inspirant des travaux de Galilée, plus précisément de sa pompe à eau, Torricelli met alors en évidence la notion mesurable de « pression atmosphérique ».
Mais le plus époustouflant, lors de cette invention de Torricelli au XVIIe siècle, demeure, à mon humble avis, cette phrase percutante, brillante et révélatrice de sa vision et de sa compréhension du monde qui accompagnait la description de son instrument de mesure : « Nous vivons immergés au fond d’un océan d’air, dont nous savons, par des expériences indubitables, qu’il a du poids. » N’est-ce pas là une phrase magnifique, et même poétique, pour un scientifique?
Or ce poids décrit par Torricelli, cette pression atmosphérique résultant de cet « océan d’air », de même que ses maintes variations et perturbations, plusieurs êtres sensibles, voire hypersensibles, les perçoivent, les ressentent au quotidien. À l’instar d’un baromètre, le corps humain est lui aussi un fin instrument sensible et sensoriel capable de capter, d’évaluer, de jauger cette pression environnante qu’on appelle communément « l’ambiance ». Et, depuis plusieurs mois maintenant, non seulement l’ambiance est lourde, mais la pression environnante augmente. Intenable, insupportable, la vie est pénible ces jours-ci. C’est un sapré sale temps pour les hypersensibles.
Sale temps aussi pour les femmes, pour les féministes, les artistes, les gauchistes, les progressistes, les syndicalistes, les spécialistes, les environnementalistes, les scientifiques, les journalistes, la communauté LGBTQ+, les marginaux, les minorités, les personnes âgées, les sans-logement, les itinérants et les plus vulnérables de notre société. En d’autres mots, si vous n’êtes pas un richissime homme (blanc) en position de pouvoir et d’autorité, ou un multimilliardaire avec de précieux amis dans un milieu politique donné, vous êtes possiblement sur le gros nerf ces temps-ci. Pire, vous en arrachez rudement et êtes à fleur de peau.
La pression trumpiste toxique
En plus de devoir supporter le fardeau et les aléas de la vie, la pression atmosphérique et la force gravitationnelle qui nous tire constamment vers le bas, nous subissons également le poids (très lourd) du président narcissique orange de retour à la Maison-Blanche. Chaque jour qui passe, nous sommes inondés de mensonges, de propos vils et grossiers. Engloutis, envahis, nous baignons dans cette violence verbale inouïe. Nous suffoquons dans les effluves nauséabonds de son interminable diarrhée verbale. Le monde est à la merci de cet être immonde, imbuvable et narcissique pour quatre, l’intimidateur en chef des États-Unis détruisant tout sur son passage, un personnage clownesque à la fois caricatural et dictatorial, tantôt risible, tantôt effrayant, mais toujours grotesque, imprévisible, cruel, immoral. Assujettis à ses moindres secousses, cahots et soubresauts, en plus de son instabilité humorale, nous sommes à haut risque de noyade mentale, de suffocation immorale, de dérive inhumaine.
Pendant ce temps (ou par conséquent – c’est selon votre perception), nous observons également dans l’espace public une libération des pulsions agressives de toutes sortes. Un peu partout dans la ville, l’ambiance est lourde, chargée, tendue. Les mâles alpha déambulent le torse bombé. Les misogynes et les masculinistes sont totalement décomplexés. Assumés, les intimidateurs s’amusent. Ils se sentent tous dans leur bon droit de proférer des insultes, de dominer. Dans différents endroits publics, les paroles violentes se multiplient. Les incivilités aussi.
Dans le métro de Montréal, par exemple, où ce « sentiment d’insécurité » (un euphémisme) persiste et augmente, une violence sous-jacente gronde dans les véhicules. Comme cet homme costaud qui vapote allègrement dans le métro. Je le regarde, il me dévisage. Monsieur (le taouin) mesure plus de six pieds et ses mains ont la dimension de deux raquettes de ping-pong. Un large nuage odorant circule abondamment autour de nos têtes. Personne ne dit rien. Tout le monde garde la tête baissée, les yeux rivés sur leur téléphone. Mieux vaut se taire, ne rien voir, ne rien sentir, ne rien faire. Les usagers réguliers de la STM savent depuis longtemps qu’une situation en apparence anodine peut vite chavirer, s’enflammer à tout moment, que tout peut basculer en une nanoseconde s’ils prononcent une seule parole. Un silence assourdissant plombe l’habitacle sale du métro de Montréal. Assommant.
Depuis plusieurs mois maintenant, l’ambiance globale n’est manifestement ni à la fête, ni au partage, encore moins à l’empathie, à la compassion, à la coopération. C’est le « chacun pour soi » qui prime, qui règne en grand, à l’image du président narcissique orange. America First, Canada First (Canada d’abord), « Tout pour l’Allemagne », et ainsi de suite. Bref, c’est l’usuel « Me, myself and I ». Et la question se pose certainement ces temps-ci : Où trouve-t-on la joie et le bonheur de vivre lorsque l’heure, l’air ambiant, de même que la pression atmosphérique et politique vibrent tous au « chacun pour soi ».
Il n’y a pas à dire, c’est un sacré sale temps pour les hypersensibles.
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« De plus, d’autres considérations m’amènent à penser que toutes les créatures sensibles sont faites, en règle générale, pour jouir du bonheur. »
– Charles Darwin (1809-1882)