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Les femmes vieillissantes


« Avec l’expérience de la vieillesse, les femmes meurent vivantes. Je l’ai traité de misogyne. C’était cruel mais vrai. » C’est l’écrivaine française Karine Tuil qui écrivait ces mots dans Les choses humaines (Gallimard, 2019). Cette phrase est dure à lire et fait mal. Imaginez dans la vraie vie. 

Dès la trentaine bien sonnée, beaucoup de femmes commencent sérieusement à s’inquiéter. Et elles ont raison de s’en faire. On le sait depuis longtemps. On l’a appris très jeune, progressivement, inconsciemment ou non : les femmes vieillissantes ne sont pas du tout valorisées dans notre société. Ces femmes vieillissantes, ces « mortes-vivantes », ne sont clairement plus dans la fleur de l’âge. Leurs pétales sont un peu ou pas mal fanés, leurs plus belles années sont définitivement passées. Cachez ces vieilles femmes que l’on ne saurait voir. 

Un homme vieillissant, lui ? Bah, pas de souci. Il est peut-être vieux mais toujours vigoureux et en vie. Certes, il a grisonné un peu, a pris des petits plis mais, dans son cas à lui, ça lui donne même un certain charme. Il vieillit très bien, cet homme. Heille, beau bonhomme pour son âge !  

L’homme vieillissant est par ailleurs considéré comme un être mature, sérieux et expérimenté. On a tout à apprendre de lui. La société entière veut bénéficier de sa grande expérience de travail et de vie. C’est presqu’un sage, ce vieil homme. Quelle chance, quel mérite dis-je, d’avoir 30, 40, 50 ans d’expérience dans un domaine tout de même ! C’est un spécialiste, ce vieux monsieur, un vrai expert. 

Mais « la madame » du même âge, elle, faudrait qu’elle dégage. On supporte d’ailleurs très mal juste son image. À preuve, un peu partout, dans l’espace public, des gens se permettent de commenter l’image et l’apparence des femmes : leur corps, leur cou, leur visage, les vêtements qu’elles portent, leurs formes, leur poids, les rides apparentes, la peau un peu flasque, la repousse repoussante, et on en passe, des vertes et des pas mûres pour les femmes « trop mûres ». 

Autrement dit, cachez cette vieille femme indésirable. Voilà essentiellement le « problème » avec les femmes vieillissantes, ces êtres en déclin – un processus tout aussi naturel que chez l’homme « mature », soit dit en passant : elles ne suscitent plus le désir sexuel. Pas besoin d’être Madonna pour le voir et le savoir. 

Les femmes ayant d’abord et avant tout été définies, depuis la nuit des temps, comme des objets de désir, des choses (humaines) désirables, touchables et prenables à tout moment, évaluées, et trop souvent valorisées, malheureusement, selon des critères purement éphémères comme la jeunesse et la beauté, forcément que la femme vieillissante, ne correspondant plus à ce diktat patriarcal, apparaît alors comme un minable objet jetable qu’il faut vite remplacer par une femme plus désirable. 

Heureusement, depuis quelque temps, plusieurs femmes qui évoluent dans l’espace public dénoncent courageusement le traitement et les commentaires odieux qu’elles reçoivent en ligne, trop souvent proférés par… d’autres femmes. 

Pourquoi certaines femmes sont-elles si méchantes envers des vedettes féminines qui vieillissent à l’écran ou sous l’œil du grand public ? Parce que ces dernières leur renvoient leur propre image de femme vieillissante. Ça fait mal. Plusieurs personnes régurgitent ainsi leurs profondes angoisses (de vieillesse et de mort) sur les autres, en proférant des méchancetés et des idioties, afin de soulager très provisoirement, et de façon on ne peut plus immature, cette douleur inhérente à la condition humaine. 

Miroir, miroir, dis-moi maintenant qui est la plus moche ?

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