En octobre 2014, l’humoriste américain Hannibal Buress était sur scène à Philadelphie. Il avait tout un numéro dans sa poche, portant sur l’hypocrisie du comédien Bill Cosby, le « père de l’Amérique » (American Dad) comme il était surnommé alors, et qui faisait à l’époque la leçon à toute une génération de jeunes Noirs. Dans ce numéro, l’humoriste en question traite plus d’une fois Bill Cosby de violeur.
Captées sur vidéo par un spectateur dans la salle, ces paroles font par la suite scandale. Les gens et l’affaire Cosby s’enflamment. On connait la suite ; des années et plusieurs témoignages de femmes plus tard, Bill Cosby fut accusé et trouvé coupable d'agression sexuelle sur une adolescente.
Pourtant, bien avant cette prestation sur scène, des dizaines de femmes avaient dénoncé les agissements de Bill Cosby, raconté leurs histoires, plusieurs alléguant avoir été abusées sexuellement et même violées. Or, il ne se passa rien. Ça n’intéressait personne. Enfin, pas vraiment.
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Le 1er juillet dernier, l’humoriste Thomas Levac affirma durant l’enregistrement d’une balado du Festival d’humour émergent en Abitibi-Témiscamingue : « Philippe Bond, c’est un violeur ». Et voilà que, similairement, cette déclaration eut l’effet d’une bombe, embrasa l’opinion publique, « provoquant une tempête de réactions dans les réseaux sociaux ».
Pourtant, là encore, « tout le monde le savait », apparemment, concernant les agissements odieux et les inconduites sexuelles de Philippe Bond. Mais l’humoriste, lui, continuait à travailler sans problème ni entrave, empochant beaucoup, beaucoup d’argent.
Entendons-nous, Philippe Bond n’est pas Bill Cosby. Mais étrangement, encore une fois, il aura fallu qu'un homme dénonce. Un seul homme, un faiseur de blagues de surcroît, un humoriste qui y va d’« une affirmation explosive balancée sans preuves dans l’espace public » pour que la vérité éclate au grand jour et que les langues se délient. C’est tout de même incroyable, vous ne trouvez pas ? Qu’est-ce que cela nous dit sur la crédibilité accordée aux femmes lorsqu’elles parlent ?
On répète sans cesse aux femmes des beaux slogans et des phrases creuses comme « On vous croit » ou « Allez-y, dénoncez ! ». Même le premier ministre François Legault « invit[ait] toutes les victimes à dénoncer » vendredi dernier. Facile à dire.
Dans les faits et la réalité, bon nombre de ces femmes ne sont pas crues lorsqu’elles dénoncent leur agresseur. Pire, on sous-entend bien souvent qu’elles l’ont sans doute cherché, peut-être même souhaité, comme si toutes les femmes ne demandaient qu’à être touchées, embrassées, pénétrées contre leur gré.
Qui plus est, que ces agresseurs évoluent dans le milieu de l’humour, des arts, du hockey, des sports en général ou bien de l’ingénierie, étrangement, on semble trop souvent s’en faire beaucoup plus pour leur « carrière » à eux que pour les gestes posés et les profondes blessures que subissent les victimes. Ces femmes ont pourtant elles aussi des carrières.
On a beau être au XXIe siècle, manifestement, il reste encore beaucoup de travail à faire pour changer les mentalités et reconnaître l’ampleur du problème des inconduites et des abus sexuels, comme celui de toucher les femmes sans leur consentement, voire de les violer « en gang ».
Répétons-le clairement : les femmes ne sont pas des objets. Et ça, c’est pas des farces.
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Photo : Sylvie Marchand, « Violées rapidement par des bons gars, traumatisées longtemps », manif au Palais de justice après l’absolution de l’agresseur reconnu Simon Houle par le juge Matthieu Poliquin, Montréal, 10 juillet 2022