Passer au contenu principal

Personne n’en parle

 

Quelle petite mentalité, tout de même. Quel semi-pays, quel village. Une grosse vedette internationale pis ça y est, tout le monde s’excite le poil des jambes, tout le monde s’énarve : le « plus gros show » de la télévision québécoise ! 

« Vu par 905 000 téléspectateurs », le « dernier épisode de TLMEP », affirmait un très populaire chroniqueur télé, « a été excellent du début à la fin ». Excellent du début à la fin ? Pour vrai ? Nous voilà bien renseignés. 

Il va y avoir du sport (pis Clinton) 

Avant même que le show commence, en consultant la brochette d’invités, on était déjà exaspérée. On a même écrit un petit mot à l’un des producteurs dimanche après-midi : « C’est la soirée "sports", ce soir, à TLMEP, c’est ça ? Du hockey, du tennis, pis du patinage de vitesse ? » C’est ça le programme ? Misère. On ne fera jamais de pays avec c’te monde-là. 

Mais « Guillaume Lespérance, [lui], se pince encore à propos de la primeur décrochée par son équipe. "C’est le plus gros show que nous avons fait en 18 ans." » « Le plus gros show » en dix-huit ans ? Vraiment ? Vous voulez dire la plus grosse prise, non ? 

Car en plus de la criarde dans le coin gauche de la salle – arrêtez-la quelqu’un! –, il y avait certes une grosse vedette au petit écran : Hilary Clinton. Et la grande dame des États-Unis (qu’on a regardé le lendemain après avoir tout éteint – « D’la marde! ») a effectivement été excellente et généreuse. Or, on ne s’attendait à rien de moins d’elle, Mme Clinton étant une experte en communications, maîtrisant tous les rouages, toutes les manœuvres, toutes les techniques d’entrevue, comme de l’art de parler en public. L'ancienne secrétaire d'État américaine a même plusieurs fois appelé l’animateur par son prénom, son « p’tit nom » : « Yes Guy… As you know, Guy… Well, Guy… » Ataboy. Grâce au pape du rendez-vous dominical, on fait maintenant partie des grands, on fait partie d’la gang. 

Est-ce que tout le monde parle du livre État de terreur de Hilary Clinton et Louise Penny dans les faits ? Bien sûr que non. Il sort en version française le 9 mars prochain, un point c’est tout. C’était une simple « plogue », comme il y en a chaque semaine, avec, dans ce cas-ci, un méga-gros nom. Et dans le monde du showbizz, ça vaut combien, ça ? Clinton représente quoi ? Un AA? Un AAA? Est-elle une « pré-A »? Une « sans lettre », Mme Clinton étant « inclassable », une étoile internationale se tenant clairement à l’extérieur de cette piètre classification ? 

Savez-vous de quoi TOUT LE MONDE PARLE en ce moment, enfin, le vrai monde, le peuple, les petites gens – pas les riches étoiles de la télévision, du showbizz et du divertissement, évidemment ? De l’inflation, viarge, de la hausse exorbitante du prix des aliments, du coût de la vie, des loyers qui ne cessent de grimper, voire d’exploser, du prix du gaz et du baril de pétrole, de l’électricité, du pain, du lait, des noix, des médicaments, alouette. Mais ça, ça se passe à la porte de l’épicerie, dans le métro pis dans le bus – « Heille, j’ai cinquante piasses dans ce petit sac ! Avec cinquante piasses, t’as pu rien, aujourd’hui, tabar…! » –, certainement pas sur les plateaux de télé. 

Encore faut-il les entendre, les petites gens. Encore faut-il les voir, les côtoyer, les écouter, s’intéresser à eux, et cela n’a rien de « glamourous » me dit-on. Non, ce n'est pas branché. 

Mais on se félicite néanmoins de la grosse prise de la semaine. On se tape dans le dos, on se flatte, on se lance des beaux mots : « À ce jour, Hillary Clinton et Louise Penny n’avaient accordé une entrevue ensemble à aucun média francophone du monde », nous révèle l’éditrice dans ce même papier. Super, ma p’tite dame, super ordinaire. 

La grand-messe télévisuelle est déconnectée du réel. Mais, comme on l’écrivait à l’autre, « j’ai l’espérance » moi aussi que les choses changent. 

Saluons finalement les journalistes Marie-Eve Bédard et Tamara Alteresco, deux femmes brillantes et courageuses, qui ont évidemment tout notre respect et notre admiration pour leur travail au front.

-----

Photo : Sylvie Marchand, murale dans Hochelag', Montréal, 2 jan. 2022.

À lire : La crise du logement exige une véritable politique, réclament les organisations (Radio-Canada, 1er mars 2022)

Messages les plus consultés de ce blogue

Mobilité vs mobilisation

On aime parler de mobilité depuis quelques années. Ce mot est sur toutes les lèvres. C’est le nouveau terme à la mode. Tout le monde désire être mobile, se mouvoir, se déplacer, dans son espace intime autant que possible, c’est-à-dire seul dans son char, ou encore dans sa bulle hermétique dans les transports collectifs, avec ses écouteurs sur la tête, sa tablette, son livre, son cell, des gadgets, alouette. On veut tous être mobile, être libre, parcourir le monde, voyager, se déplacer comme bon nous semble. On aime tellement l’idée de la mobilité depuis quelque temps, qu’on a même, à Montréal, la mairesse de la mobilité, Valérie Plante. On affectionne également les voitures, les annonces de chars, de gros camions Ford et les autres - vous savez, celles avec des voix masculines bien viriles en background - qui nous promettent de belles escapades hors de la ville, voire la liberté absolue, l’évasion somme toute, loin de nos prisons individuelles. Dans l’une de ces trop nombre

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle portait en

Femmes consommables

Elles ne datent pas d’hier, ces maudites pubs à marde. Mais lorsque j’ai aperçu celle-ci, au début de l’été, cette gigantesque publicité de bières au métro McGill, j’ai pensé, comme une vraie hurluberlue habitant toujours la planète Utopie  : «  Pfft ! Ça ne passera jamais ! Dans l’temps de l’dire, ces affiches seront recouvertes de collants "pub sexiste" que les féministes apposent ici et là, au centre-ville de Montréal. Check ben ça… ! » Je suis repassée maintes fois devant depuis, jamais vu un seul collant, sapristi. Neuf femmes consommables, mesdames et messieurs – neuf ! un vrai harem –, bien fraîches évidemment, et de préférence « à prendre » sur le bord d’un lac quelque part pendant vos vacances : la Brise du lac , la Ci-boire , la Matante , la Désirée , la Chipie , la Valkyrie , la Joufflue , la Belle Mer – quelqu’un devrait définitivement aller consulter –, ou encore la Nuit blanche – j’imagine que, comme Brise du lac , elle aussi n’est que de passage… I