Passer au contenu principal

La religion CH (2)


Oubliez les thèses doctorales sur le hockey niant l’existence d’une religion sportive pour parler plutôt d’un « système de croyances » – (Lire Le hockey comme dernier bastion de la masculinité virile, Le Devoir, 30 juin 2021). Certains chercheurs semblent beaucoup trop près de leur sujet, impliqués ou concernés, pour être complètement objectifs. 

Dans les faits et la réalité, loin du champ des études supérieures, de la «masturbation mentale» académique de haut calibre et des thèses de « 400 pages savantes » sur le hockey, c’est le peuple qui décide. Et pour bien des gens sur le terrain, ce « système de croyances » en les Canadiens de Montréal n’est autre chose qu'une véritable religion. 

« Ô Saint-Maurice » 

Il n’y a pas de dieu dans le hockey, vous dites ? Foutaise. Il y a des dieux et des saints. Pour preuve, on retrouve ces temps-ci, dans Hochelag, juste en face de la Place Valois, à côté de l’épicerie, une magnifique statue en bois qui sert également de lieu de culte, de rassemblement, de recueillement, de prières et d’offrandes pour porter chance au Tricolore. 

Peinte en bleu-blanc-rouge, ladite statue est également accompagnée d’une prière : « Ô Saint-Maurice. Accepte nos offrandes. Protège nos Habs et ramène nous la Coupe. » (sic – Oui, c’est ainsi. Et ainsi soit-il.) 

Et comme une chance n’arrive jamais seule, l’artiste se pointe drette à mes côtés pendant que je prenais une photo : 

« C’est moé qui a faite ça ! 
– C’est vous l’artiste ? 
– Ouais… Ça fait trois jours qu’est là. 
– Pourquoi "Saint-Maurice", au juste ? (Pour moi, Saint-Maurice est un village en Mauricie.) 
– Pour Maurice Richard, c’t’affaire ! 

(Hérésie, sapristi ! L’homme m’explique qui est Maurice Richard.) 

– Tsé, l’aréna Maurice-Richard ! 
– Oui, oui, je sais qui est Maurice Richard, mais j’ignorais que c’était un saint ! 

(Quelle idiote, celle-là, s’abstient-il de m’envoyer.) 

Or, le Rocket n’a pas juste été intronisé au TEMPLE de la Renommée du hockey en 1961, mais aussi canonisé, apparemment, du moins dans les esprits de plusieurs Québécois et « Canadiens français ». 

– On était tous réunis là, l’autre jour, autour de l’aréna. 
– Ah bon ? 

Quelques heures avant le troisième match de la finale, Gilles me parle de son œuvre et de son adoration pour les Canadiens de Montréal en général. Il s’anime et s’enflamme, parlant très vite :

– Tu vois-tu ça, là ? [sur la statuette] 
– Ouais. 
– C’est la Coupe Stanley ! 
– Évidemment. 
– J’en ai une autre pareille dans mon sac. 
– Ah ouin ? 
– Je l’amène, à soir, pour le match. Je vais être là, sur place, au Centre Bell. J'm’en va là, là. 
– Vous êtes donc un vrai fan, vous. 
– Ben oui. Même que tu vas m’voir, à soir, à TV ! Je vais être juste à côté du… 

(Alors là j’avoue n’avoir rien compris. Et comme je ne voulais surtout pas freiner son élan en lui avouant que je n’ai pas le câble et ne verrai sans doute pas le match nulle part, je l’ai laissé aller. Mais tout le monde pourra le voir, précise-t-il, dans une section spéciale. Facile à identifier, Gilles portera sa casquette du Canadien et… un masque.) 

– Il faudrait tout de même qu’ils remportent le match de ce soir, sinon…, continuais-je. 

(Blasphème!) 

– Ils vont gagner ! », s’est empressé de rétorquer Gilles, en me défilant des chiffres incompréhensibles : 4 dans 7, mais 2-0, et là 3, 1, 6 à 0, pis 2, faque… vous imaginez le reste. Là encore, je n’ai rien compris. Je crois qu’il faut avoir été initié, mieux encore, baptisé. 

Mais comme toute est dans toute, si les prédictions à Gilles sont bonnes et ses professions de foi fructueuses, les Canadiens de Montréal devraient remporter la Coupe. 

En quittant Gilles qui implorait le Ciel de porter chance et de couvrir de grâce ses Glorieux, on pouvait entendre les Hare Krishna sur Ontario qui ont repris du service – eux aussi ont un lieu de culte, un temple, dans le quartier : Hare Krishna, Hare Krishna, Krishna, Krishna, Hare, Hare, Hare Rama, Hare Rama, Rama, Rama, Hare, Hare… 

Quelques heures plus tard, à proximité du Stade olympique où l’on se préparait pour la « grand-messe » en plein air (visionnement du match sur grand écran), j’ai croisé d’autres fervents partisans/pratiquants qui m’ont expliqué comment regarder le match sans câble ni télé, vous savez, le « streaming des Internets»… Bref, après la première période, j’ai perdu toute foi possible (même si les chatteux durant le streaming prédisent une défaite volontaire du Lightning au prochain match afin de remporter la Coupe dans leur aréna à eux, leur haut lieu de culte, presque sacré, entouré de leurs fidèles croyants et partisans.) 

Mais j’ai surtout eu une petite pensée pour Gilles et son œuvre, laquelle, sur la rue Ontario, après cette terrible défaite, a dû être détruite, comme bien des églises canadiennes et des statues ces jours-ci. 
-----
Photo : S. Marchand, « Gilles et son œuvre », Hochelaga, Montréal, 2 juillet 2021.

Messages les plus consultés de ce blogue

Les Grands Ballets canadiens et la guerre commerciale américaine

La guerre commerciale «  made in USA  » est commencée. De toutes parts, on nous invite à boycotter les produits et les services américains. Quoi ? Vous songiez aller en vacances aux États-Unis cette année ? Oubliez ça ! Il faut dépenser son argent au Canada, mieux encore, au Québec. Dans ce contexte, on nous appelle également à boycotter Amazon (et autres GAFAM de ce monde) ainsi que Netflix, Disney, le jus d’orange, le ketchup, le papier de toilette, etc. – nommez-les, les produits américains –, en nous proposant, et ce un peu partout dans les médias québécois, des équivalents en produits canadiens afin de contrer la menace américaine qui cherche ni plus ni moins à nous affaiblir pour ensuite nous annexer. Les Américains sont parmi nous  Pourtant, les Américains sont en ville depuis longtemps. Depuis 2013, en effet, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) offrent une formation américaine ( in English, mind you , et à prix très fort qui plus est) sur notre territo...

« Femme Vie Liberté » Montréal 2024 (photos)

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour le port « inapproprié » de son voile, le mouvement iranien « Femme Vie Liberté » se poursuit...  ----- Photos  : Sylvie Marchand, Montréal, 15 sept. 2024  À lire  :  Malgré la répression, de nombreuses Iraniennes ne portent pas de hijab ( La Presse , 14 sept. 2024)  Iran : deux ans après la mort de Mahsa Amini, la répression « a redoublé d’intensité » (Radio-Canada, 15 sept. 2024)

«Boléro» (2024), l’art de massacrer la danse et la chorégraphe

  Réalisé par Anne Fontaine ( Coco avant Chanel ), le film  Boléro  (2024) porte sur la vie du pianiste et compositeur français Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) durant la création de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre, le  Boléro , commandé par la danseuse et mécène Ida Rubinstein (Jeanne Balibar). Alors que Ravel connait pourtant un certain succès à l’étranger, il est néanmoins hanté par le doute et en panne d’inspiration.  Les faits entourant la vie de Maurice Ravel ont évidemment été retracés pour la réalisation de ce film biographique, mais, étrangement, aucune recherche ne semble avoir été effectuée pour respecter les faits, les événements et, surtout, la vérité entourant l’œuvre chorégraphique pour laquelle cette œuvre espagnole fut composée et sans laquelle cette musique de Ravel n’aurait jamais vu le jour.  Dans ce film inégal et tout en longueur, la réalisatrice française n’en avait clairement rien à faire ni à cirer de la danse, des fai...

«La Belle au bois dormant», y a-t-il une critique de danse dans la salle ?

«  Sur les planches cette semaine  » …  «  La Belle au bois dormant  est un grand classique et, en cette époque troublée, anxiogène, la beauté des grands classiques fait du bien à l’âme. Particularité de la version que présentent les Grands Ballets à la Place des Arts cette année : c’est un homme (Roddy Doble), puissant, imposant, sarcastique, qui interprète la fée Carabosse, comme l’a voulu la grande danseuse et chorégraphe brésilienne Marcia Haydée » écrit la journaliste Marie Tison, spécialiste en affaires, voyage et plein air dans La Presse .  Qu’est-ce qui est pire ? Une compagnie de ballet qui produit encore des œuvres sexistes et révolues ? Un homme qui joue le rôle d’une femme (fée Carabosse), rôle principal féminin usurpé à une danseuse ? Ou une journaliste qui ne connait absolument rien ni à la danse ni aux œuvres du répertoire classique, incapable du moindre regard ou esprit critique, qui signe constamment des papiers complaisants de s...

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle p...