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Les 100 voix: David


Les sans-voix sont partout. Pour bon nombre de gens qui vivent dans ce quasi-pays, ces individus ne sont que des figurants, des êtres sans voix, sans importance, qui apparaissent dans le background de leur film interne, dont ils sont évidemment la vedette, le centre de l’attention comme de la scène, avec leurs nombreux privilèges. Mais entre figurants, étonnamment, non seulement on se voit, nous autres, mais on se parle et on s’entend. Bienvenue dans les coulisses des gens sans importance… 

*** 

L'homme est passé devant moi avec rien d’autre qu’un livre dans les mains. « Je me demande ce qu’il lit, lui. » Il est ensuite revenu sur ses pas et s’est adressé à moi : 

« Je me suis trompé ! C’est ça qui arrive quand tu vas pas à l’école longtemps. Mais l’autre chauffeur, celui de la 97, m’a dit que c’était ici, l’arrêt pour la 139.
- Ouais, c’est drette icitte. »

Il a commencé à me parler de lui, de sa vie. Une vie tumultueuse, remplie de détours, de difficultés, faite de chemins embrumés, en plus d’une éducation scolaire écourtée. 

« C’est quoi ton prénom ?, lui ai-je demandé. 
- David. » 

David est Autochtone. Il est jeune, début trentaine peut-être, mais paraît beaucoup plus vieux que son âge. La vie dure laisse toujours ses traces sur le corps.

« Et qu’est-ce que tu lis, David ? 
- Juste pour aujourd’hui. C’est le livre des Narcotiques Anonymes. Connais-tu ça, les Narcotiques Anonymes ? C’est comme les Alcooliques anonymes mais pour ceux qui ont touché aux drogues. 

Il me parle de son livre truffé de pensées et d’affirmations quotidiennes pour passer à travers les journées difficiles. Il me parle de ces affirmations qui lui donnent de la force, de sa foi en Dieu et de son père : « Mon père ne voulait pas que je vienne en ville, mais moi, je dois suivre ma voie. » 

Sur le coup, j’ignore s’il me parle de sa voie ou de sa voix, l’une menant à l’autre et vice versa. 

« Oui David, c’est important d’écouter sa propre voix, de suivre sa voie. » 

Il explique sa démarche « même si je suis un bon à rien. » « Tu sais, beaucoup de gens se sentent comme ça à l’intérieur, peu importe ce qu’ils sont ou ce qu’ils font dans la vie. » 

En attendant toujours le bus, on jase pis on rit. 

« Il faut bien rire, sinon on va pourrir, s'exclame-t-il gaiement. 
- Ah, je vais l’écrire, celle-là, si tu me permets, pour m’en souvenir. 
- Oui, juste pour aujourd’hui... 

L’autobus 139-Pie-IX arrive.

« Après vous », « Non, après vous » … bref, « bonne journée David. » 

*** 

« Il faut bien rire, sinon on va pourrir. » - David

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