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L'homme est passé devant moi avec rien d’autre qu’un livre dans les mains. « Je me demande ce qu’il lit, lui. » Il est ensuite revenu sur ses pas et s’est adressé à moi :
« Je me suis trompé ! C’est ça qui arrive quand tu vas pas à l’école longtemps. Mais l’autre chauffeur, celui de la 97, m’a dit que c’était ici, l’arrêt pour la 139.
- Ouais, c’est drette icitte. »
Il a commencé à me parler de lui, de sa vie. Une vie tumultueuse, remplie de détours, de difficultés, faite de chemins embrumés, en plus d’une éducation scolaire écourtée.
« C’est quoi ton prénom ?, lui ai-je demandé.
- David. »
David est Autochtone. Il est jeune, début trentaine peut-être, mais paraît beaucoup plus vieux que son âge. La vie dure laisse toujours ses traces sur le corps.
« Et qu’est-ce que tu lis, David ?
- Juste pour aujourd’hui. C’est le livre des Narcotiques Anonymes. Connais-tu ça, les Narcotiques Anonymes ? C’est comme les Alcooliques anonymes mais pour ceux qui ont touché aux drogues.
Il me parle de son livre truffé de pensées et d’affirmations quotidiennes pour passer à travers les journées difficiles. Il me parle de ces affirmations qui lui donnent de la force, de sa foi en Dieu et de son père : « Mon père ne voulait pas que je vienne en ville, mais moi, je dois suivre ma voie. »
Sur le coup, j’ignore s’il me parle de sa voie ou de sa voix, l’une menant à l’autre et vice versa.
« Oui David, c’est important d’écouter sa propre voix, de suivre sa voie. »
Il explique sa démarche « même si je suis un bon à rien. » « Tu sais, beaucoup de gens se sentent comme ça à l’intérieur, peu importe ce qu’ils sont ou ce qu’ils font dans la vie. »
En attendant toujours le bus, on jase pis on rit.
« Il faut bien rire, sinon on va pourrir, s'exclame-t-il gaiement.
- Ah, je vais l’écrire, celle-là, si tu me permets, pour m’en souvenir.
- Oui, juste pour aujourd’hui...
L’autobus 139-Pie-IX arrive.
« Après vous », « Non, après vous » … bref, « bonne journée David. »
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« Il faut bien rire, sinon on va pourrir. » - David