Gilbert Rozon a été acquitté des accusations graves portées contre lui d’avoir violé une femme durant son sommeil, se posant lui-même en « victime » dans cette affaire.
Le comédien américain Bill Cosby droguait pour sa part des femmes à l’aide de sédatifs pour mieux les endormir et les violer en toute tranquillité.
Un répartiteur du 911, lui, a profité du sommeil d’une policière pour l’agresser sexuellement lors d’un party. « Elle s’est réveillée, avec horreur, et l’a repoussé. »
Similairement, l’ex-député libéral Yves St-Denis a été trouvé coupable d’agression sexuelle en août 2019 pour avoir embrassé une femme durant son sommeil. « Même si son refus de dormir ensemble était clair, Yves St-Denis s’est rendu dans la chambre et a embrassé la victime dans son sommeil. Celle-ci s’est aussitôt réveillée en le repoussant. »
Agresser des femmes dans leur sommeil n’a strictement rien de nouveau. C’est non seulement un jeu d’enfant, une proie facile, mais une histoire pour enfant : La Belle au bois dormant.
Pour bon nombre de ces violeurs et de ces agresseurs sexuels, en effet, la femme qui le repousse l’ignore encore, mais elle le désire inconsciemment. Lui, « séducteur aguerri », à qui elle a peut-être dit « non » auparavant, insiste néanmoins, la révélera à son véritable désir.
Dans Descente au cœur du mâle – De quoi #MeToo est-il le nom (LLL, 2018), le philosophe Raphaël Liogier décortique pour nous ce mythe du « prince charmant » qui viole pourtant la princesse :
« Dans la version positive, non pas dans celle, négative, du viol pur et simple perpétré par un monstrueux Weinstein, tout séducteur aguerri se représente un peu comme le prince qui embrasse la Belle au bois dormant. Un baiser ainsi volé ne l’est pas tout à fait. De même que la main baladeuse qui effleure des fesses dans une rame de métro bondée n’est jamais vue comme tout à fait incongrue. Car une femme est toujours un peu endormie, prête à être embrassée, touchée, éveillée à un désir encore inconnu d’elle. Si elle se récrie – si même elle crie : « au viol ! » -, c’est qu’elle doit être encore inconsciente de ce qu’elle veut. La fable de la Belle au bois dormant va à l’essentiel. Elle donne une image de la femme fragile, délicate, passive qui s’endort dans l’attente de son prince charmant sans même le savoir. Pendant cent ans. Autant dire une éternité moins une étreinte. Tout comme Blanche-Neige ou Cendrillon, la Belle au bois dormant n’a de valeur que celle que l’homme lui confère royalement. L’amour du prince est volontaire. L’amour de la pauvrette, de la souillon, ou de la délicate qui se pique avec un fuseau, est, à l’inverse, toute réceptivité. […]
La Belle au bois dormant va plus loin. Surtout dans la version originale de Giambattista Basile qui date du début du XVIIe siècle [1634], intitulée Soleil, Lune et Thalie. Version elle-même issue de contes populaires remontant à la première moitié du XIVe siècle. On n’y trouve pas encore les édulcorations dramatiques de Charles Perrault, puis des frères Grimm. On y raconte les aventures d’un homme qui s’enfonce dans la forêt alors qu’il chasse, et qui découvre une princesse endormie et solitaire dans une demeure perdue. C’est la princesse Thalie. Le roi l’aime aussitôt, et, dans le même mouvement, la viole dans son sommeil. La belle, complètement passive (endormie), objet du désir légitime de l’homme et son assouvissement nécessaire, ne se réveille ni pendant ni après l’acte. Elle n’éprouve ni douleur ni plaisir. Elle sera fécondée et accouchera neuf mois plus tard, toujours en état de léthargie. Lorsqu’elle s’éveille enfin, suite à la succion d’un de ses enfants qui lui retire l’écharde soporifique en tentant de la téter, elle s’extasie face à la découverte de sa progéniture. Le viol est une bénédiction. Par le viol, elle a pu s’éveiller à sa vraie vie. Et d’abord devenir mère. Il ne vient pas à l’esprit de la princesse qu’il ait pu y avoir une atteinte à son intégrité. C’est une chance d’avoir été violée. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un viol, car la question de l’existence de la volonté de Thalie n’est pas posée. L’idée même qu’elle eût pu ne pas consentir à l’acte sexuel est dépourvue de signification dans la logique de la fable. La morale de l’histoire est saisissante : À qui a de la chance, le bien vient même en dormant. »
Soulignons finalement que le ballet La Belle au bois dormant, créé en 1890 et basé sur ce conte sexiste et révolu, est toujours au programme des Grands Ballets canadiens de Montréal pour 2021. L’art de rester endormi, léthargique, ou simplement insensible au mouvement des femmes, comme à celui de l’évolution.