Suite à l'effondrement de l’ancienne URSS, Cuba s'enfonça, au début des années 90, dans une longue et pénible crise économique appelée, par le gouvernement castriste, la période « especiale ». C’est un peu comme l’austérité néo-libérale mais… en pas mal pire.
Ayant déserté l’île cubaine en masse, les Russes laissèrent derrière eux des fabriques, des usines, des machines et toutes sortes d’équipement sans pièces de rechange. Les Cubains apprirent à nouveau à bricoler, à bizouner, à réparer n’importe quoi avec les moyens du bord.
Au lieu de donner l’heure juste sur la gravité de la crise économique, cette appellation enjolivée, « el período especial », cherchait plutôt à leurrer les gens, en plus de faire appel au patriotisme de la population. Car une période spéciale se veut évidemment « spéciale ». Ce n’est donc pas ordinaire, la norme ou même juste la misère, c’est un effort « de guerre » populaire en temps de paix. Tout le monde était apparemment appelé à se serrer la ceinture afin de faire face aux pénuries, aggravées par l’embargo américain, « estos malditos Gringos » (ces maudits Américains) …
Pendant cette « période spéciale », donc, il manquait de tout. Une des phrases les plus courantes sur l’île cubaine d’ailleurs, après « Se fué con la llave » (Il est parti avec la clé – car tout, absolument tout est compliqué), était sans aucun doute « no hay », y’en a pas. Car à l’extérieur des zones hôtelières où les touristes se bourraient la face dans les buffets tout-inclus, accumulant trop de « Cuba libre » (rhum & coke), c’était la pénurie. La vraie. Les épiceries, les restos, les boutiques, les pharmacies, tout quoi, étaient vides. Il n’y avait plus d’oranges, plus de viande, de biscuits, de produits, de médicaments, de vêtements, nommez-les, no hay, y’en a pas. Se acabó, c’est fini, y’en a plus, rentrez chez vous.
À la cafetería du coin, on y trouvait habituellement de l’eau, du café, des cigarettes et, parfois, une vieille saucisse ratatinée surchauffée de la veille. Mieux valait encore fumer des cigarillos tout en sirotant un café cubano, un efficace coupe-faim.
Après les manques et les pénuries, l’autre embûche de la vie cubaine de l’époque demeurait sans conteste la cola, c’est-à-dire la queue, les longues files d’attente. Pour prendre la guagua (le bus), pour obtenir du café, muni d’un carnet de rationnement soit dit en passant, pour acheter ce qui venait d’arriver au magasin, partout, des files d’attente. Là encore, pour la population locale, pas pour les étrangers…
Et voilà qu’aujourd’hui, en pleine pandémie, le Québec expérimente à son tour les colas. Pour entrer à l’épicerie, à la pharmacie, au magasin, etc., il faut joindre la file d’attente, et ce, à deux mètres de distance.
La différence entre la queue d’ici et la cola cubaine ? D’abord, ici, même en temps de pandémie, les gens sont pressés, vous voyez. Ça soupire, ça regarde leur montre, ça capote, ça appelle leurs proches pour leur raconter que « Oh my God, y’a du monde et il faut attendre…! », ça fait un compte-rendu à leur « tendre moitié », oh misère, il faut patienter, attendre à la queue leu leu.
Or, on s’entend-tu, chers amis, que hay de todo ? Il y a de tout, en abondance. Il n’y a pas de pénurie, pas de manque. Respirons donc par le nez, ça aussi, ça devrait bien aller… nous allons tous recommencer à surconsommer.