C’est devenu la nouvelle norme et, pour certains d’entre nous, un supplice au quotidien. Tous les jours, dans les espaces publics, la rue, le bus, le métro, partout quoi, des gens se regardent infatigablement la face dans leur glace-cellulaire-portable. Ils se contemplent attentivement, s’admirent grassement, sans gêne aucune.
Complètement hypnotisés par leur visage, médusés, enivrés, saoulés d’eux-mêmes, ils aiment de surcroît ce qu’ils voient. Ils y croient. Elle est là, leur sublime image, presque palpable. Ils la regardent, la boivent encore et encore, insatiables qu’ils sont de leur propre reflet. S’ils pouvaient l’atteindre, le saisir, l’embrasser, ce serait alors l’extase narcissique absolue.
Entre deux égoportraits, ils absorbent également un nombre époustouflant de publicités, tant sur leur « livre à faces » qu’autres cyberespaces navigables à portée de la main. Une dame, elle, regarde des pubs sur Candy Crush pour bénéficier de nouvelles armes de destruction massive contre l’invasion de chocolat. Un jeune homme, lui, grâce à ses pouces bioniques, fait déferler une série de « posts » truffés d’annonces sur son téléphone intelligent, tandis que l’autre à côté, lui, magasine en ligne.
Partout, c’est le vide abyssal qui prime, l’aliénation de l’humanité, des vrais contacts humains, tangibles. C’est le moi narcissique qui règne, l’ère de l’ego surdimensionné édifié au gros max.
En voyant tout cela, comment voulez-vous, d’une part, ne pas déprimer, ne pas être désespérée de la vie, à boutte de toute ? C’est la destruction insouciante et insidieuse de l’humanité dans son essence, par la surconsommation de produits, de biens et d’un moi, moi, moi à la fois insatiable et capitalisable.
D’autre part, on ne peut que se questionner sérieusement : Avons-nous atteint l’apogée de la société narcissique, le sommet, l’Everest de la glorification du moi ? Ou est-ce que ce phénomène nombriliste pourrait outrageusement empirer ?
Car déjà en 1979 – et donc bien avant la mondialisation, Internet, Facebook, les réseaux prétendument « sociaux » et autres outils d’autopromotion, de propagande et de marchandisation du moi –, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch (1932-1994) écrivait, dans son livre « La culture du narcissisme : la vie américaine à un âge de déclin des espérances » (The Culture of Narcissism, American Life in An Age of Diminishing Expectations), bouquin réédité en 2018, « en [d]es temps étranges et difficiles » :
« La publicité sert moins à lancer un produit qu’à promouvoir la consommation comme style de vie. Elle "éduque" les masses à ressentir un appétit insatiable, non seulement de produits, mais d’expériences nouvelles et d’accomplissement personnel. Elle vante la consommation, remède universel aux maux familiers que sont la solitude, la maladie, la fatigue, l’insatisfaction sexuelle. Mais simultanément, elle crée de nouvelles formes de mécontentements, spécifiques de l’âge moderne. Elle utilise et stimule le malaise de la civilisation industrielle. Votre travail est ennuyeux et sans signification ? Il vous donne un sentiment de fatigue et de futilité ? Votre existence est vide ? Consommez donc, cela comblera ce vide douloureux. D’où la volonté d’envelopper la marchandise d’une aura romantique, d’allusions à des lieux exotiques, à des expériences merveilleuses, et de l’affubler d’images de seins féminins, d’où coulent tous les bienfaits. »
» La propagande de la marchandise sert une double fonction. Premièrement, elle affirme la consommation comme solution de remplacement à la protestation et à la rébellion. […] Le travailleur fatigué, au lieu de tenter de changer les conditions de son travail, cherche à se revigorer en renouvelant le cadre de son existence, au moyen de nouvelles marchandises et de services supplémentaires.
» En second lieu, la propagande de la marchandise, ou de la consommation de celle-ci, transforme l’aliénation elle-même en une marchandise. Elle se tourne vers la désolation spirituelle du monde moderne et propose la consommation comme remède. Elle promet de pallier tous les malheurs traditionnels, mais elle crée, aussi, ou exacerbe, de nouvelles manières d’être malheureux : l’insécurité personnelle, l’anxiété quant à la place de l’individu dans la société, l’angoisse qu’ont les parents de ne pas être capables de satisfaire les besoins de leurs enfants. […] La publicité institutionnalise l’envie et l’anxiété qui en découle. »
Que dirait Lasch aujourd’hui ?
Complètement hypnotisés par leur visage, médusés, enivrés, saoulés d’eux-mêmes, ils aiment de surcroît ce qu’ils voient. Ils y croient. Elle est là, leur sublime image, presque palpable. Ils la regardent, la boivent encore et encore, insatiables qu’ils sont de leur propre reflet. S’ils pouvaient l’atteindre, le saisir, l’embrasser, ce serait alors l’extase narcissique absolue.
Entre deux égoportraits, ils absorbent également un nombre époustouflant de publicités, tant sur leur « livre à faces » qu’autres cyberespaces navigables à portée de la main. Une dame, elle, regarde des pubs sur Candy Crush pour bénéficier de nouvelles armes de destruction massive contre l’invasion de chocolat. Un jeune homme, lui, grâce à ses pouces bioniques, fait déferler une série de « posts » truffés d’annonces sur son téléphone intelligent, tandis que l’autre à côté, lui, magasine en ligne.
Partout, c’est le vide abyssal qui prime, l’aliénation de l’humanité, des vrais contacts humains, tangibles. C’est le moi narcissique qui règne, l’ère de l’ego surdimensionné édifié au gros max.
En voyant tout cela, comment voulez-vous, d’une part, ne pas déprimer, ne pas être désespérée de la vie, à boutte de toute ? C’est la destruction insouciante et insidieuse de l’humanité dans son essence, par la surconsommation de produits, de biens et d’un moi, moi, moi à la fois insatiable et capitalisable.
D’autre part, on ne peut que se questionner sérieusement : Avons-nous atteint l’apogée de la société narcissique, le sommet, l’Everest de la glorification du moi ? Ou est-ce que ce phénomène nombriliste pourrait outrageusement empirer ?
Car déjà en 1979 – et donc bien avant la mondialisation, Internet, Facebook, les réseaux prétendument « sociaux » et autres outils d’autopromotion, de propagande et de marchandisation du moi –, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch (1932-1994) écrivait, dans son livre « La culture du narcissisme : la vie américaine à un âge de déclin des espérances » (The Culture of Narcissism, American Life in An Age of Diminishing Expectations), bouquin réédité en 2018, « en [d]es temps étranges et difficiles » :
« La publicité sert moins à lancer un produit qu’à promouvoir la consommation comme style de vie. Elle "éduque" les masses à ressentir un appétit insatiable, non seulement de produits, mais d’expériences nouvelles et d’accomplissement personnel. Elle vante la consommation, remède universel aux maux familiers que sont la solitude, la maladie, la fatigue, l’insatisfaction sexuelle. Mais simultanément, elle crée de nouvelles formes de mécontentements, spécifiques de l’âge moderne. Elle utilise et stimule le malaise de la civilisation industrielle. Votre travail est ennuyeux et sans signification ? Il vous donne un sentiment de fatigue et de futilité ? Votre existence est vide ? Consommez donc, cela comblera ce vide douloureux. D’où la volonté d’envelopper la marchandise d’une aura romantique, d’allusions à des lieux exotiques, à des expériences merveilleuses, et de l’affubler d’images de seins féminins, d’où coulent tous les bienfaits. »
» La propagande de la marchandise sert une double fonction. Premièrement, elle affirme la consommation comme solution de remplacement à la protestation et à la rébellion. […] Le travailleur fatigué, au lieu de tenter de changer les conditions de son travail, cherche à se revigorer en renouvelant le cadre de son existence, au moyen de nouvelles marchandises et de services supplémentaires.
» En second lieu, la propagande de la marchandise, ou de la consommation de celle-ci, transforme l’aliénation elle-même en une marchandise. Elle se tourne vers la désolation spirituelle du monde moderne et propose la consommation comme remède. Elle promet de pallier tous les malheurs traditionnels, mais elle crée, aussi, ou exacerbe, de nouvelles manières d’être malheureux : l’insécurité personnelle, l’anxiété quant à la place de l’individu dans la société, l’angoisse qu’ont les parents de ne pas être capables de satisfaire les besoins de leurs enfants. […] La publicité institutionnalise l’envie et l’anxiété qui en découle. »
Que dirait Lasch aujourd’hui ?