J’étais repartie de la bibliothèque avec ma pile de livres sous le bras, déterminée à comprendre les mécanismes, les tenants et aboutissants du pouvoir et de la domination, histoire de fourbir mes armes contre ces nombreux crétins - les p’tits bullies insignifiants, les salopards, les tyrans, les boys clubs de ce monde et les prédateurs en général. Sociologie de la domination, psychologie du pouvoir, et même, biologie du pouvoir. Quand madame veut savoir…
Question d’agrémenter ces lectures, et ainsi nourrir ma flamme souverainiste – car rien n’est éteint, quoiqu’en disent certains -, j’avais également choisi, en lisière de cette petite étude « dominant-dominé », un ouvrage sur le nationalisme québécois, manifeste « tra[çant] les grandes lignes d’une réflexion systématique et critique sur la nature de la revendication nationalitaire dans le monde contemporain », un court texte paru en 1981, rédigé par nulle autre que Michèle Lalonde, et son collègue Denis Monière.
J’étais convaincue que ce Manifeste pour une Cause commune n’avait absolument rien à voir avec mon objectif premier, et qu’il me servirait, d’abord et avant tout, de bouffées d’air frais à un éventuel printemps nationaliste.
Et puis je suis tombée sur ce passage, écrit, rappelons-le, bien avant « les Internets », les réseaux communément appelés « sociaux » et tout le tralala de notre société ultra-individualiste :
« Toute stratégie de domination implique la généralisation de l’oubli, le gommage de l’identité et l’imposition, par la force ou la persuasion, des valeurs et modèles de comportement conformes aux intérêts du dominateur. À la limite, le dominé s’introjecte l’âme de celui qui l’oppresse ou l’exploite et répudie la sienne propre. L’art de subjuguer a toujours impliqué cet effet de conversion et le terme lui-même sous-entend la fascination et l’envahissement du champ de conscience. Pour obtenir ce résultat, il suffit d’atomiser les communautés afin d’empêcher la solidarisation, condition nécessaire de la résistance aux pouvoirs.
» Planifiée et contrôlée par quelques-uns, la modernisation industrielle distancie les relations entre l’individu, sa famille, son village et son groupe d’appartenance. Le type d’urbanisation qui va de pair suppose le déracinement et une transplantation à l’avenant qui ne se fait pas sans affaiblissement des relations sociales. S’ensuit une diminution de l’interaction concrète entre l’individu et la collectivité. En déstructurant les communautés et en enfermant les citoyens dans le monde de la concurrence et de la consommation individualisée, les dominants actuels fixent ou régularisent à leur avantage les rapports d’inégalité économique, sociale et politique. Cette organisation sur la base du chacun-pour-soi promet, et, d’une certaine manière superficielle, permet liberté et mieux-vivre, mais crée un vide, un manque intime de relations que ni la communication ni la consommation de masse ne réussissent à combler. Pour mâter les consciences et distraire des frustrations profondes, on met sur le marché une culture déracinée qui charrie des ersatz du vécu. En lavant au besoin les cerveaux, on refoule la culture d’appartenance et d’identité pour inculquer cette version améliorée, aseptisée, qui sert à projeter un univers irréel sur une vie privée de sens. Cette culture anémique garantit la stabilité des rapports de domination. Panacée standard conçue pour une humanité standardisée, elle insensibilise et endort, engendre l’indifférenciation de soi et l’indifférence aux autres et laisse finalement un sentiment d’impuissance en émiettant le sens du collectif. La tête prise à l’étau des écouteurs qui le relient directement et très individuellement au boniment des commanditaires, chacun circule isolément parmi ses semblables, unité captive, aisément manipulable. Cette image, qui n’a déjà plus rien d’une figure de style, caractérise la condition de solitude proposée sous l’étiquette de civilisation mondiale. » (1)
Somme toute, qu’il s’agisse d’individus, de systèmes ou de cette mondialisation dont nous subissons aujourd'hui les conséquences, le but ultime du dominateur est d’affaiblir l'autre, sa proie, sa victime, de l’isoler, de le miner de l’intérieur, de le dépouiller de ses armes, entre autres de la parole, comme de sa propre culture, de ses repères et de ses traditions, afin qu’il/elle s’identifie ultimement à lui – processus que les psychanalystes appellent depuis longtemps, identification à l’agresseur.
À l’échelle collective, cela signifie également que le système actuel en place, sauvagement capitaliste, parvient tout bonnement et insidieusement à nous diviser – ce que les tyrans et lesdits « réseaux sociaux » réussissent immanquablement à faire – afin de nous rendre tous, au final, de simples individus isolés et impuissants, de ridicules consommateurs inconscients, égocentriques, voire narcissiques, qui n’ont que la gratification de leur petit moi en tête.
« Docteure, j’ai mal à ma collectivité… »
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(1) Michèle Lalonde et Denis Monière, Manifeste pour une Cause commune : internationale de petites cultures, Montréal, L’Hexagone, 1981, p.22-23.
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Nota bene : Le documentaire Reconquérons notre avenir de l’excellent Mario Jean a été ajouté au texte Un 15 mars sur Terre..., au cas où vous l’auriez manqué. À voir absolument. Ça donne le goût de s’activer en groupe, de faire des manifs tous les jours, et, tant qu’à y être, une belle grosse Révolution… « Maudit qu’est gossante, elle, avec sa crisse de Révolution ! » You bet.