Chaque matin, au réveil, il est minuit moins quinze secondes. Chaque matin, au réveil, je me lève sur un pied de guerre, mue par ce sentiment d’urgence. Comme une vraie forcenée, je me précipite sur les nouvelles fraîches à la recherche de signes avant-coureurs annonçant l’arrivée d’une rébellion, d’une révolution plus ou moins tranquille, d’un soulèvement imminent. Rien.
Parfois, j’accoure vers le centre-ville de Montréal pour voir de mes propres yeux s’il n’y aurait pas des manifs quelconques ou d’imposantes protestations que les médias auraient choisi d’ignorer. Là encore, rien. Au contraire, tout le monde semble heureux d’exister. Ça se promène allègrement sur la Ste-Cath, insouciant peut-être ou parfaitement inconscient, qu’en sais-je. Ça papote, ça rigole, ça magasine en masse, ça mange de la crème-à-glace, ça se regarde inlassablement la face sur leur téléphone vraiment intelligent, et ça boit d’immenses cafés Starbucks, leur prénom glorieusement écrit sur leur grosse tasse en carton (oui, vous l'aurez deviné, fuck Starbucks).
En voyant tout cela, on se dit que c’est étrange tout de même puisque nous vivons tous sur la même planète, mais qu’il n’y a sans doute rien à comprendre ni même d'explication, et que, encore une fois, c’est juste moi qui capote. « Bon, c'est quoi le problème maintenant ? Tu cherches encore la chicane ? », me répète-t-on depuis des lunes.
La crise du pétrole s’en vient pourtant, la planète périclite, des gens crèvent de faim sur tous les continents, les baleines meurent les viscères remplis de plastique, le pays d’à côté régresse à vue d’œil (les États-Unis, pas le Canada), des enfants sont toujours séparés de leurs parents, des méga-entreprises contrôlent l’information et engloutissent les revenus publicitaires des journaux locaux, et Netflix était de surcroît le commanditaire du tapis rouge de la soirée du cinéma québécois – Quoi ? C’est une farce ? Même pas. C’est du sérieux.
Certains citoyens ne savent toujours pas qu’il y aura des élections au Québec le 1er octobre prochain, d’autres ignorent absolument tout de ce qui se passe à l’extérieur de leur bulle, leur cellulaire d’une main et leur ridicule Bubble Tea de l’autre. D’autres encore, des francophones en l’occurrence, vivent presque exclusivement en anglais, heureux d’habiter « enfin » dans l’ouest de la ville.
Chaque soir je meurs aussi. Comme cette fleur qui ne vit qu’un jour, la rebelle en moi se fane, s’éteint, déçue de n’avoir pu combattre quoi que ce soit, encore aujourd’hui. C’est un sommeil lourd et opaque qui m’emporte loin dans la nuit, où je fais pratiquement toujours le même rêve, voire cauchemar… si au moins je pouvais en parler à mon ancien psychanalyste.
Au bout de la nuit, la rebelle éphémère se lève à nouveau sur un pied de guerre, habitée par ce même sentiment d’urgence. Et ça recommence. Et puis c’est reparti mon kiki. Une guerrière sans réel champ de bataille où aller revendiquer et scander fièrement ? Quelle perte de temps. Qu’arrivent les élections que mon peuple sorte enfin de ses gonds... Ou suis-je seulement en train de rêver en couleur moé là.
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« Aujourd’hui, le boxeur enlève ses gants, défait ses bandages, fait craquer ses jointures. Sans espoir mais avec détermination, il sort un crayon. Un boxeur avec un crayon, quelle perte d’énergie ! »
- Pierre Falardeau, La liberté n’est pas une marque de yogourt