Les médias parleront bientôt de « l’anniversaire » du mouvement #metoo/moiaussi. Et avant que les dégâts ne se poursuivent, mettons tout de suite une chose au clair. Cette vague de dénonciations des agressions ou inconduites sexuelles n’est pas née en octobre 2017, suite à l’affaire Harvey Weinstein, quoi qu’en disent ou écrivent certains. C’est l’Afro-Américaine Tarana Burke qui en est l’instigatrice, et ce, bien avant la déferlante qui suivit l’affaire du monstre d’Hollywood. Seulement, l’attention médiatique a drastiquement changé lorsque les « glamourous » vedettes du cinéma hollywoodien ont joint leur voix au mouvement.
Depuis, comme on l’avait prédit, les gros noms ont continué de tomber en grand nombre puisqu'il ne s'agissait là que de la pointe de l’iceberg. Et nombreuses victimes demeureront sans doute toute leur vie dans le silence, car non, ce n'est pas une mode, être branchée ou même « dans le vent » que de reconnaître une agression, de la nommer et de dénoncer un agresseur.
Or il semblerait que plusieurs hommes sont toujours sous le « choc », et même qu’il ne serait pas facile d’« être un homme » depuis l’essor du mouvement #metoo/moiaussi – à ce propos, lire notamment la chronique de Mario Girard, De la déprime à la réguine.
Eh bien, à tous ces hommes, nous leur souhaitons d’abord la bienvenue sur la planète Terre. Voilà déjà quelques siècles que les femmes parlent de leur condition féminine, dénonce le patriarcat, le pouvoir intrinsèque de l’homme blanc, intelligent ou pas, créatif ou non, ainsi que les nombreux abus dont elles sont directement victimes, mais qui écoutait véritablement.
Et à tous ceux (et celles) qui se sentent aujourd’hui déboussolés, perdus, désorientés, ou qui confondent encore séduction avec prédation, ou « drague lourde » avec abus de pouvoir (physique, psychologique, sexuel, socio-économique, ou autre), sachez qu’il existe quelques livres qui sont sortis depuis, dont l'excellent essai de Raphaël Liogier* qui explique l’essence même du mouvement ainsi que sa racine profonde : Descente au cœur du mâle - De quoi #metoo est-il le nom? (Les Liens qui Libèrent, 2018). Ce que tout homme (et femme) devrait savoir, en quelques 138 pages, rédigées par un homme, blanc, sociologue de surcroît - rien de menaçant donc, en plus d’être fort éclairant. (Si quelqu’un pouvait en envoyer un exemplaire à Gilbert Rozon et à son ami Laurent Ruquier, ce serait vachement apprécié.)
Une partie du bouquin traite d’ailleurs d’un de mes sujets préférés, l’image de la femme dans les contes de fées, dans l’attente perpétuelle de son prince charmant (pu capable), à la source, malencontreusement, de nombreux ballets, films, opéras, etc., qui devraient franchement être balayés, sinon revisités, comme le fait la chorégraphe africaine Dada Masilo, qui présentera à la rentrée une Giselle féministe. Ataboy. (À propos du sexisme qui règne en ballet classique, vous pouvez consulter Pour en finir avec Cendrillon, Les pieds écarlates et « Ode à la femme », mon œil.)
En parlant de La Belle au bois dormant, l’auteur précise l’essence même du conte : « Elle donne une image de la femme fragile, délicate, passive, qui s’endort dans l’attente de son prince charmant sans même le savoir. Pendant cent ans. Autant dire une éternité moins une étreinte. Tout comme Blanche-Neige ou Cendrillon, la Belle au bois dormant n’a de valeur que celle que l’homme lui confère royalement. L’amour du prince est volontaire. L’amour de la pauvrette, de la souillon, ou de la délicate qui se pique avec un fuseau, est, à l’inverse, toute réceptivité. Il l’aime. Elle, en revanche, se contente de tomber amoureuse, de tomber littéralement dans ses bras qui la saisissent et la soulèvent. Il est actif. Il la saisit. Elle est comblée. Il la comble. Elle est passive, passionnée et offerte. » (1)
La femme passive, donc, réceptive, voire simple réceptacle, qui ne sait pas ce qu’elle veut, ce qu’elle désire (encore moins sexuellement), représente, depuis la nuit des temps, l’incarnation de la femme désirable, la femme idéale se montrant inéluctablement fragile, démunie, incapable, muette, mieux encore, endormie.
Et c’est sans doute cette réalité de femme active, exigeante, combattante, allumée, désireuse, capable de parler, de riposter, qui sait définitivement ce qu’elle veut (et ce qu’elle ne taira plus sous aucun prétexte) qui rend le réveil de certains hommes si brutal. Bienvenue dans la vraie réalité.
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« Nietzsche a très justement enseigné que la violence sourd du sentiment d’impuissance. De la peur de ne pas être à la hauteur. D’être dépassé par l’autre. De sorte qu’on s’arrange pour l’exclure préventivement de la compétition, afin de ne pas avoir à se mesurer directement à lui. Tel est le mécanisme du racisme. Tel est le machisme profond. » (3)
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(1) Liogier, R., Descente au cœur du mâle – De quoi #metoo est-il le nom?, p.42.
(2) Ibid., p.32.
(3) Idem, p.95.
* Raphaël Liogier en entrevue à Plus on est de fous, plus on lit!