En mars dernier, certaines d’entre nous avaient vertement critiqué les Grands Ballets canadiens de Montréal pour leur programmation sexiste prévue pour la saison 2018-2019, ainsi que leur interminable instrumentalisation des femmes (voir « Ode à la femme », mon œil). Nathalie Petrowski semblait alors d’accord puisqu’elle publiait un percutant billet à cet effet, et ce, pour mon plus grand bonheur, Chercher la femme (et ne pas la trouver).
Une fois rendue en juin, par contre, la grande dame de la critique culturelle québécoise écorchait (et pas à peu près) Marilou Craft, qui, elle, dénonçait de son côté le concept même du spectacle SLĀV de Robert Lepage, lui reprochant de « …critiquer les spectacles avant même qu’ils n’existent. Me semble que la première chose que l’ex-étudiante aurait dû faire avant de poser ses objections, c’était d’attendre que le spectacle soit monté, non ? »
Hiiing… Non.
Nous n’avons pas eu besoin d’attendre de voir le spectacle Femmes, prévu pour 2019, pour protester haut et fort notre indignation, car même sur papier, cette idée était ridicule, irresponsable, irrecevable. La conception d’un spectacle intitulé Femmes chorégraphié par des hommes ? N’importe quoi. Et cette vague de protestation printanière provoqua pour le moins un changement de nom du spectacle, sans que le Boys Club des Grands Ballets n'invite pour autant des chorégraphes féminines à leur odieuse programmation. Le problème demeure somme toute entier aux Grands Ballets, mais passons, car il y en a royalement marre de ce dossier qui n’aboutit pas et de toutes ces têtes administratives profondément enfouies dans le sable.
Or en lisant ce papier du 26 juin, on se dit que la grande Petrowski était clairement due pour ses vacances, ce qu’elle fit quelques jours plus tard, se trouvant déjà dans le champ, sans doute quelque part en route vers l’Estrie.
Quant au grand dramaturge de renommée internationale, Robert Lepage, force est de constater que monsieur s’est trompé lui aussi, deux fois plutôt qu’une. Car là encore, même sur papier, ses conceptions ne tenaient pas la route, et plusieurs signaux semblent avoir été allumés en cours de route, mais qu’il ait lui aussi préféré jouer à l’autruche et aller de l’avant avec sa vision blanche.
Dans le cas de ces deux individus fort appréciés du public, on doute que leur carrière soit mise à mal par ces erreurs de parcours, l’erreur est humaine. Mais de là à parler d’« intimidation » et de « censure » comme le font certains ? Wo-minute papillon.
Dans une société dite démocratique, justement, les gens ont le droit de critiquer, de manifester, protester, dénoncer, s’insurger, bref, d’aller au front, et ce, avant, pendant ou après un spectacle, comme pour tout autre évènement d’ailleurs. Ça s’appelle la liberté d’expression. Il n’y a pas de date butoir ou de péremption, ni de temps idéal pour le faire.
Car c’est bien de mouvement de protestation dont il s’agit. Il émerge d’une profonde indignation, d’un ras-le-bol, d’un « c’est assez ! » clair et ferme. Et avoir un esprit critique, une voix, ainsi qu'un espace pour le faire demeure plus que jamais nécessaire, nos voisins du Sud nous rappelant chaque jour qui passe lamentablement que le dérapage politique et la régression sont toujours à nos portes.
Et rappelons-nous que, de tout temps, lorsque les grands de ce monde se trompent, c’est pas à peu près, s’il vous plaît…
« Not everything that is faced can be changed. But nothing can change until it is faced. » - James Baldwin (1924-1987), dans I Am Not Your Negro