Je ne parle pas de nos voisins du Sud (à ce propos, lisez plutôt L’Amérique m’inquiète de Patrick Lagacé, ça sera plus éclairant), mais bien de mon voisin d’à côté, Arnold oui, j’ai déjà parlé de lui dans le passé (Les narcissiques sont parmi nous).
Oui, il est narcissique le bonhomme et se montre parfois franchement insupportable. On s’est pris la tête je ne sais combien de fois ces derniers mois. Mais qu’importe nos chicanes de voisins, il faut composer avec lui quasiment au quotidien, et tout n’est jamais complètement noir, même chez les humains les plus exécrables (ou presque).
Et malgré tout, Arnold a aussi un côté givré, s’agit de le trouver. Et croyez-moi, j’ai travaillé fort - lui aussi d’ailleurs pour me le révéler. Il a effectivement des qualités. C’est un homme travaillant, canalisant ainsi, et de manière plutôt constructive j’avancerais, son hyperactivité. Car ça oui, monsieur est hyperactif, il n’arrête pas deux minutes. Dès le lever du soleil, Arnold bricole, gosse à gauche pis à droite, claque les portes, travaille sur plusieurs projets et chantiers, en haut, en bas, sur le toit, chez sa fille et ailleurs, parfois, tout ça en même temps.
Il démontre aussi une générosité plus élevée que la moyenne. Ça ressemble plus souvent qu'autrement à une stratégie pour obtenir de l’attention, n’empêche, il a besoin d’être aimé, de se sentir apprécié des gens et de me donner quelque chose à manger chaque fois que je le croise dans le couloir. « Heille, viens icitte toé-là… Y me reste du poisson, tu l’veux-tu ? Sinon, j’va le jeter. (…) J’ai un pain de trop aussi, il est frais, tiens, prends-le… Goûte à ça ma belle, des bananes bio… c’est ben meilleur ! » « Mais arrête bon sang… T’as besoin de me nourrir ou quoi ? » Mais la vérité c’est que ça tombe bien, j’ai faim (Bienvenue dans « l’écosystème de la pauvreté »).
Question de s’entraider entre voisins, quand il quitte la ville pour quelques jours, pour mon plus grand bonheur, c’est moi qui nourris ses oiseaux, deux serins, enfin je crois, un jaune et un orange, la femelle et le mâle qui chante sans arrêt, « le couple parfait » selon ses dires, et une belle projection de son couple j'ajouterais.
Mais depuis quelque semaines, Arnold ne bricole plus, ne dérange plus personne et ne claque plus de portes, plutôt inquiétant. Il s’est enfermé dans sa chambre et regarde des films en boucle sur Netflix (fuck Netflix, mais il ne veut rien entendre). « Qu’est-ce que tu regardes là ? », lui demandais-je l’autre jour en passant. « J’sais pas… un film de pow-pow. » Arnold est à plat et regarde « des vues » simplement pour s'étourdir l'esprit, avachi, évaché dans son lit.
Plus préoccupant encore, son offre de me donner ses oiseaux… Très mauvais signe.
- Mais ça ne va pas la tête, Arnold ?! Qu’est-ce qui se passe? Après toi et ta fille, tes oiseaux c’est ce qu’il y a de plus beau au monde, tu m’as dit.
- Oui. Mais là, chu tanné.
- Tu m’inquiètes Arnold, tu m’inquiètes… Tu ne gosses pas sur 56 projets ces temps-ci, t’as pas mis de fleurs sur ton balcon encore, ta terrasse n’est pas prête pour l'été, tu veux me donner tes oiseaux en plus! Qu’est-ce qui se passe ? Toi pis ta blonde vous êtes chicanés ?
- C’est fini elle pis moé… pis chu tanné.
Pour la première fois depuis longtemps, j’eus soudainement envie que son naturel revienne au galop. C’est sa fille qui lui a finalement insufflé quand elle est passée souper cette semaine. Du coup, il m’avait également préparé une petite assiette…
Le lendemain, le vacarme avait repris de plus belle, le claquage de portes et les conversations à grand déploiement aussi. « Crisse qu'il est fatigant... » Et ça, c'est plutôt bon signe. Retrouvez votre état normal, quel que soit votre état normal.