C’est par le plus pur des hasards que je suis tombée sur ce livre à la Grande bibliothèque, le joyau national des pauvres comme je la surnomme, et sans doute l’une des plus grandes réalisations au Québec depuis belle lurette.
Le titre en blanc sur cette reliure brune à l’ancienne aurait aussi bien pu être animé de néon, tellement il attirait mon attention. Je l’ai donc décoincé de la rangée, l'ai sorti, lu le titre : Le panier de crabes de Jérôme Proulx. Connais pas.
J’ai ouvert le livre, l’ai humé, ça sentait les années 70. Je vérifie… publié en 1971. La bonne femme n’a pas perdu son flair. Un livre c’est comme un bon vin, ça possède sa couleur et son odeur, même si je ne bois pas. Et ce titre… Je le parcoure très rapidement, un court chapitre porte sur René Lévesque. Ataboy, « vendu », je le prends.
J’ai lu ça d’une traite la Journée des Patriotes (au diable la Reine et ce foutu mariage royal – plus de 6 millions de tweets durant le mariage du prince avec sa princesse ?! People, people, please… ) Et si vous aimez l’histoire du Québec, les récits des coulisses du pouvoir et une belle plume intelligente et allumée, vous allez vous régaler. C’est également, par moments, hilarant.
Le panier de crabes de Jérôme Proulx est « un témoignage vécu sur l’Union Nationale sous Daniel Johnson » jusqu’à la création du Parti québécois en novembre 1969. Le mercredi 26 novembre 1969, Jérôme Proulx devenait le deuxième député du Parti (ainsi que « le whip, le secrétaire parlementaire, le conseiller juridique, etc… »; ils n’étaient que deux), joignant ainsi son ami René Lévesque.
Il est défait dès 1970, et maintenant expulsé du « panier de crabes », il décida de raconter son histoire, ce « passage dans les sinueux corridors du pouvoir, du patronage et de la corruption ».
Proulx y parle du pouvoir, des ministres et des députés de l’époque (Jean Lesage, Daniel Johnson, Pierre Laporte, René Lévesque et bien d’autres), des « jeux » internes, des coups bas, de la « piqûre » politique, des « rouges et des bleus », des supercheries et des chambardements occasionnés par un changement de pouvoir, des bills, des coulisses et des pratiques (hautement masculines, cela va sans dire – Mme Kirkland-Casgrain étant la seule femme présente) à l’Assemblée nationale, d’un certain président de la Chambre plutôt endormant surnommé « l’anesthésiste de l’Assemblée », d’un autre collègue qu’ils appelaient « M. Canada », ou encore des trucs pour « décrocher les manchettes » ou, à l’inverse, faire oublier une déception politique (il n’y avait pas internet en 69, rappelons-le).
Certains passages sont tout simplement délicieux. À propos de certains collègues qu’il a côtoyés, par exemple, de leur faiblesse d’esprit, l'auteur écrit : « Quand ils rendront l’âme, un jour, ces bons députés, très peu, je crois, très peu rendront l’esprit. »
Il évoque également la préparation et l’organisation de la visite très remarquée du Général de Gaulle en 1967 – le fameux « Vive le Québec libre ! » du 24 juillet sur le balcon de l’hôtel de ville à Montréal -, son impact dans le public, l’effet de bombe chez les francos comme chez les anglos.
Ça se lit comme on suçait des « paparmans » chez ma grand-mère. Et à propos de René Lévesque, Jérôme Proulx écrit : « Par la simplicité de sa personne, René Lévesque a aboli le mythe du surhomme omnipuissant et assoiffé de pouvoir. Il puise sa force dans la connaissance de ses propres limites, dans sa conviction d’homme et dans l’espérance de tout un peuple. Au culte de la personnalité, il oppose l’image d’un homme de bonne volonté que le destin a chargé d’une lourde responsabilité et quand la foule l’acclame ce n’est pas une idole qu’elle encense mais un homme en chair et en os à qui elle communique sa foi en l’avenir. (…)
» La simplicité constitue tout le charme de l’homme et par là il aura aussi aboli le mythe du dandy : il n’a ni coiffeur, ni tailleur, ni chauffeur; il n’a rien d’un narcisse et il a horreur du cabotinage. Le seul luxe qu’il s’offre c’est celui d’être lui-même. Il sera toujours ce Québécois authentique en qui nous nous retrouvons tous.
» Les fantômes des ruines de l’Establishment hantent le Québec mais pour René Lévesque ce sont de vieux familiers. Il les déshabille, les scrute et les décortique : effeuillage progressif d’une peur collective. Il la combattra, cette chimère québécoise, cette peur ingrate qui dépouille un peuple de ses héros et à son "humble avis" les fantômes repartiront… tout effrayés. »
La peur, toujours la peur. Celle qui paralyse les individus, fige les peuples. On l’a bien rhabillée depuis. À quand le prochain effeuillage…
Et que dire du surhomme omnipuissant et assoiffé de pouvoir ou encore de l’espérance de tout un peuple... C'est mou ce pays.