Passer au contenu principal

Leçon guerrière


Si vous luttez pour une cause qui vous tient à cœur, menez une chaude lutte sur une base régulière contre une injustice, une institution, une inégalité, une iniquité, un Boys Club ou autre fléau de société, vous aurez alors besoin d’un arsenal bien complet. Des munitions certes, sous forme de faits et de données pertinentes, mais aussi quelques notions de psychologie. Sinon vous risquez de tomber à plat au combat, pis encore, de dériver lentement vers un état quasi-comateux frôlant la dépression.

Rempart psychologique dans l’art belliqueux 
Plusieurs affirment, lorsqu’on entreprend un combat, qu’il faut s’armer de patience. La patience c’est bien, mais ce n’est pas tout. Ça prend également de l’acharnement, de l’entêtement, une bonne dose d’énergie ainsi qu’une tête de cochon ou de bovidé, car, comme un taureau exalté, il vous faudra maintes fois foncer sur la cible ou l’adversaire tête baissée.

Les suffragettes, par exemple, ont dû frapper à la porte du Parlement pendant 14 années consécutives avant d’obtenir le droit de vote des femmes au Québec (voir Les portes claquées de Rima Elkouri). Ça prend donc une détermination sans limite ainsi qu’une connaissance de l’art de la bataille.

Car d’un côté, vous n’observerez aucun résultat concret, aucun progrès réel, pas le moindre millimètre d’avancement pendant longtemps. De l’autre, particulièrement si vous êtes une femme, en plus d’ignorer inexorablement vos revendications ou simples demandes d'informations, on vous traitera de tous les noms, remettant en cause vos droits, vos compétences, votre intelligence, réputation, santé mentale, etc. (voir Une femme qui dérange est forcément dérangée).

Cette situation d’insuccès répétés déclenche généralement chez les primates un état d’abattement semblable à la dépression, le syndrome de l’impuissance acquise.

Le syndrome de l’impuissance acquise 
Phénomène bien établi et largement documenté en psychologie depuis les années 70, lors des études portant sur le conditionnement animal notamment, le syndrome de l’impuissance acquise résulte d’une action continue pour laquelle il n’y a aucune suite ou portée réelle dans l’environnement.

Pour illustrer, vous posez une action, il ne se passe rien; vous tentez à nouveau, rien; vous recommencez, toujours rien… et ainsi de suite. Décourageant, n’est-ce pas? C’est ainsi qu’après maintes répétitions et tentatives infructueuses, l’individu cesse alors d’agir, apprenant que ses actions n’ont aucun impact, aucune conséquence ou effet direct sur le monde externe, sombrant dès lors dans un état d’abattement. Le sentiment de découragement mêlé au désespoir qui s’installe insidieusement s’apparente à l’état dépressif, d’où la suppression des forces agressives vitales et l’immobilisation du corps, minant du même coup toute forme de motivation, d’énergie, et donc d’efforts au combat.

À son apogée, suivant un traumatisme grave, on retrouve également le syndrome de résignation, durant lequel « le cerveau se dissocie du corps », la cure nécessitant rien de moins que la restauration de l’espoir. Ce n’est pas peu dire.

Afin d’éviter ou de contrer ce pernicieux découragement progressif qu'est l'impuissance acquise, une stratégie de défense ou de résistance consiste à identifier de menues gratifications en cours de route, même si l’objectif ultime n’a toujours pas été atteint.

Ce n'est pas toujours chose facile mais il faut cultiver le plaisir belliqueux, prendre son pied dans le combat lui-même, dans le fait de le mettre à terre plutôt que de se faire marcher dessus, se délecter et même célébrer une action de protestation, même si c’est le silence radio qui règne après, et ce pendant longtemps, somme toute, prendre plaisir dans le simple fait d’être une guerrière qui n’a pas froid aux yeux, se réjouir d’être en mouvement plutôt qu’inactive, se montrer impertinente, insolente, irrévérencieuse, à la limite baveuse, tenir tête oui, et surtout la maintenir haute, droite et franche, avec du front tout le tour. Car la puissance naît elle aussi d'un simple sentiment.

« Fly like a butterfly and sting like a bee » - Mohamed Ali

Messages les plus consultés de ce blogue

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle portait en

Mobilité vs mobilisation

On aime parler de mobilité depuis quelques années. Ce mot est sur toutes les lèvres. C’est le nouveau terme à la mode. Tout le monde désire être mobile, se mouvoir, se déplacer, dans son espace intime autant que possible, c’est-à-dire seul dans son char, ou encore dans sa bulle hermétique dans les transports collectifs, avec ses écouteurs sur la tête, sa tablette, son livre, son cell, des gadgets, alouette. On veut tous être mobile, être libre, parcourir le monde, voyager, se déplacer comme bon nous semble. On aime tellement l’idée de la mobilité depuis quelque temps, qu’on a même, à Montréal, la mairesse de la mobilité, Valérie Plante. On affectionne également les voitures, les annonces de chars, de gros camions Ford et les autres - vous savez, celles avec des voix masculines bien viriles en background - qui nous promettent de belles escapades hors de la ville, voire la liberté absolue, l’évasion somme toute, loin de nos prisons individuelles. Dans l’une de ces trop nombre

Pour en finir avec Cendrillon (2)

Pour clôturer leur saison 2022-2023 en grand, les Grands Ballets canadiens de Montréal nous proposent un autre classique insupportable, sexiste et passé date, un « ballet classique chatoyant », un « spectacle magique pour toute la famille », Cendrillon . Ben voyons donc.  Il existe maintes versions de ce conte très ancien, inspirant différents films, ballets, pantomimes et opéras. Plusieurs œuvres chorégraphiques ont vu le jour durant les périodes préromantique et romantique du XIXe siècle, il y a de cela plus de 200 ans. Et le ballet Cendrillon qui s’inscrivit au répertoire classique, sur la musique de Sergueï Prokofiev, est lui aussi basé sur le conte de Charles Perrault (1628-1703), tradition orale jetée sur papier à la fin du XVIIe siècle et repris par les frères Grimm au XIXe siècle. Déjà, ça part mal.  Bien connu du grand public, le récit met en scène une orpheline, petite « chatte des cendres » qui, grâce à ce mariage avec un prince charmant, parvient enfin à se sortir de la mi