Mardi le 24 octobre dernier, les femmes en Islande étaient en grève pour réclamer l’équité salariale et mettre fin à la violence basée sur le genre. Dans tout le « pays de glace », une des sociétés les plus égalitaires au monde, durant une journée entière, les écoles étaient fermées, les transports collectifs étaient retardés, les hôpitaux avaient moins d’effectif et les chambres d’hôtel ont cessé d’être nettoyées. Même la première ministre islandaise, Katrin Jakobsdóttir, est restée chez elle dans le cadre de la grève des femmes, espérant que « d’autres femmes de son gouvernement » feraient de même.
Toutes les Islandaises étaient appelées à refuser le « travail rémunéré et non rémunéré », incluant les tâches ménagères. Vous imaginez ? Cette journée de grève des femmes – une journée entière, soit dit en passant, de minuit à minuit – a dû être longue pour plusieurs employeurs, privés comme publics. Car lorsque les femmes cessent en grand nombre de travailler, incluant les tâches non-rémunérées, de s’occuper de son monde comme de son entourage, c’est toute l’économie d’un pays ou d’une nation qui écope, qui tourne en rond et au ralenti.
Ici, au Québec, « qui n’est pas un pays [mais] l’hiver », le Front commun syndical, qui représente quelque 420 000 membres en santé, services sociaux et en éducation, des secteurs majoritairement féminins, a l’intention de tenir une journée de grève lundi le 6 novembre prochain. Enfin, ce n’est même pas une journée complète, comme ce fut le cas en Islande mardi dernier, mais bien pour quelques heures seulement.
Fidèle à lui-même, le premier ministre François Legault s’est lancé en mêlée de presse, révélant le fond de sa pensée, tout en tentant de rallier la population de son côté : « "J’espère que les syndicats d’infirmières ne vont pas prendre les patients québécois en otage avec la grève qu’ils annoncent", a réagi jeudi matin le premier ministre François Legault en mêlée de presse au parlement. »
On comprend les inquiétudes du premier ministre Legault. Personne, au Québec, ne veut être ignoré lorsqu’il se retrouve malade, que ce soit dans une clinique ou à l’hôpital. Mais l’image employée par François Legault a le mérite de valoir mille mots.
Les infirmières, elles, ne sont-elles pas « prises en otage » lorsqu’elles doivent faire du temps supplémentaire obligatoire et rester pour un autre quart de travail sans discuter ?
Toutes ces femmes qui œuvrent dans les secteurs publics et les services sociaux ne sont-elles prises pour acquises et « en otage », devant encore travailler dans des conditions de travail exécrables et, bien souvent, dans des lieux vétustes et à des salaires pitoyables ?
Rappelons par ailleurs que les femmes au Québec n’ont toujours pas atteint l’équité salariale : « Au Québec, le taux horaire moyen des femmes correspondait à 90,8% de celui des hommes en 2021. »
Lorsque toutes les femmes au Québec déclencheront une vraie grève – oui, oui, toutes les travailleuses québécoises, seulement pour une journée complète –, lorsque toutes les femmes cesseront de travailler pour des peanuts et des miettes, en plus d’accomplir d’innombrables tâches non-rémunérées et des heures de bénévolat ici et là, c’est le Québec au grand complet qui serait alors pris en otage et toute l’économie québécoise qui se retrouverait sur la glace.
Après le 30% d’augmentation salariale que les députés de l’Assemblée nationale se sont autooctroyés en juin dernier, et ce, à la vitesse de l’éclair, juste avant la pause estivale, le premier ministre François Legault devrait réfléchir longuement avant de s’adresser aux médias, tourner sa langue 30 fois avant de parler et cesser de pérorer sur la « capacité de payer » des Québécois.
Car « nous », nous n’avons rien oublié.
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Photo : Sylvie Marchand, manif Front commun intersyndical, Montréal, 23 sept. 2023.