Passer au contenu principal

Journalisme et militantisme


Au cours de la fin de semaine dernière, lors du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), le milieu journalistique a débattu sur la place du militantisme au sein de leur profession : « Si certains insistent sur la nécessité, comme journaliste, de taire ses opinions pour se tenir loin de toute apparence de conflit d’intérêts, d’autres estiment que les reporters ont tous des partis pris et devraient pouvoir s’exprimer sur des sujets qui les touchent. » (Le Devoir, 7 nov. 2022)

Désolée, chers journalistes professionnels et tous ceux en devenir, mais vous ne pouvez pas avoir, et le beurre de peanut et l’argent du beurre de peanut… 

Le prix du militantisme 

Militer vient avec un prix – pas un prix à gagner comme on vous en a remis le weekend dernier, mais bien un prix à payer. Le prix fort, oui. Le militantisme a un coût. 

Quand on décide de militer, on choisit d’aller au front pour une ou plusieurs causes qui nous tiennent à cœur. On choisit sciemment de mettre de côté notre neutralité professionnelle, notre droit de réserve, peut-être même de quitter une profession afin de dénoncer une situation, en partageant notre opinion sur la place publique et, forcément, c’est automatique, d’autres seront clairement en désaccord avec nous. 

Certaines de ces personnes ont peut-être même du pouvoir dans ce milieu professionnel donné et tenteront par tous les moyens de vous faire taire, de vous stigmatiser, de vous discréditer, de porter atteinte à votre réputation, à votre crédibilité, intelligence, formation, éducation, et le reste. Automatiquement, vous deviendrez persona non grata dans votre propre milieu de travail et, si vous êtes une femme, une folle à lier. 

Car plusieurs militants, quel que soit le milieu dont ils sont issus, sont des têtes fortes qui ont brisé le silence, des têtes de cochon qui ont refusé de suivre docilement le troupeau et qui, à tort ou à raison, ont dénoncé une situation intenable ou une injustice. 

S’ils ne crèvent pas de faim, ces militants, ils survivent maigrement sur les beurrées de beurre de peanut, ne pouvant plus travailler dans leur propre milieu. La technique est bien connue depuis longtemps, affamer les grandes gueules, les dissidents et les militants pour les faire taire. 

De plus, comme militants, nous ne sommes pas tenus, nous, à l’objectivité, à la neutralité et à l’impartialité. Bien au contraire, on a choisi un camp, une position franche et on se bat férocement tous les jours pour la défendre. Pour militer, il faut aller au front, manifester, être dans l’action et exiger des changements. 

Or le travail de journaliste, lui, consiste d’abord à informer les citoyens, à exposer les deux côtés de la médaille sur un sujet donné, à interroger des experts, des témoins, des gens mêlés de près comme de loin à l’affaire, à étayer des données, des raisons, des explications, etc., pour qu’on puisse nous-même, comme citoyen éclairé, former notre propre opinion. Et dans ce processus, on ne veut pas connaître votre opinion. 

Non seulement ça ne nous intéresse pas une seconde, mais elle n’a aucunement sa place dans un article de presse. Devenez chroniqueur à ce moment-là, ou bien publiez vos propres textes d’opinions sur votre petit blogue personnel. Car journalisme et militantisme sont deux choses distinctes. 

Vous voulez militer ? Vous voulez manifester dans la rue avec une pancarte que vous avez vous-même fabriquée avec un morceau de carton recyclé pis des crayons feutres ? Vous désirez ardemment partager vos opinions, débattre des enjeux de société et aller au front ? Eh bien, faites comme bon nombre de militants, chers journalistes, et payez le prix fort qui vient avec la liberté totale d’expression.


Messages les plus consultés de ce blogue

Le Prince et l’Ogre, le mauvais procès

Poursuivi en justice pour des agressions sexuelles et des viols qu’il aurait commis à l’endroit de plusieurs femmes, un homme connu du grand public subit un procès. Dans le cadre de ces procédures, des témoins défilent à la barre. Parmi ceux-ci, des amis de longue date, des proches, des collègues et d’anciens collaborateurs venus témoigner en faveur de l’accusé. Tous soulignent sa belle personnalité, le grand homme qu’il a toujours été. Ils le connaissent bien ; cet homme n’est pas un agresseur. Au contraire, il a toujours joui d’une excellente réputation.  C’est un homme « charmant, courtois, poli et respectable » tant envers les hommes que les femmes, répéteront-ils. Il est « un peu flirt », certes, « comme bien d’autres ». Mais personne n’a souvenir qu’on ait parlé en mal de lui. Jamais. Parfois, il est vrai, il a pu se montrer insistant envers quelques femmes, affirmera lors d’une entrevue un excellent ami depuis le Vieux Continent. Mais on pa...

Les Grands Ballets canadiens et la guerre commerciale américaine

La guerre commerciale «  made in USA  » est commencée. De toutes parts, on nous invite à boycotter les produits et les services américains. Quoi ? Vous songiez aller en vacances aux États-Unis cette année ? Oubliez ça ! Il faut dépenser son argent au Canada, mieux encore, au Québec. Dans ce contexte, on nous appelle également à boycotter Amazon (et autres GAFAM de ce monde) ainsi que Netflix, Disney, le jus d’orange, le ketchup, le papier de toilette, etc. – nommez-les, les produits américains –, en nous proposant, et ce un peu partout dans les médias québécois, des équivalents en produits canadiens afin de contrer la menace américaine qui cherche ni plus ni moins à nous affaiblir pour ensuite nous annexer. Les Américains sont parmi nous  Pourtant, les Américains sont en ville depuis longtemps. Depuis 2013, en effet, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) offrent une formation américaine ( in English, mind you , et à prix très fort qui plus est) sur notre territo...

« Femme Vie Liberté » Montréal 2024 (photos)

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour le port « inapproprié » de son voile, le mouvement iranien « Femme Vie Liberté » se poursuit...  ----- Photos  : Sylvie Marchand, Montréal, 15 sept. 2024  À lire  :  Malgré la répression, de nombreuses Iraniennes ne portent pas de hijab ( La Presse , 14 sept. 2024)  Iran : deux ans après la mort de Mahsa Amini, la répression « a redoublé d’intensité » (Radio-Canada, 15 sept. 2024)

«Boléro» (2024), l’art de massacrer la danse et la chorégraphe

  Réalisé par Anne Fontaine ( Coco avant Chanel ), le film  Boléro  (2024) porte sur la vie du pianiste et compositeur français Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) durant la création de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre, le  Boléro , commandé par la danseuse et mécène Ida Rubinstein (Jeanne Balibar). Alors que Ravel connait pourtant un certain succès à l’étranger, il est néanmoins hanté par le doute et en panne d’inspiration.  Les faits entourant la vie de Maurice Ravel ont évidemment été retracés pour la réalisation de ce film biographique, mais, étrangement, aucune recherche ne semble avoir été effectuée pour respecter les faits, les événements et, surtout, la vérité entourant l’œuvre chorégraphique pour laquelle cette œuvre espagnole fut composée et sans laquelle cette musique de Ravel n’aurait jamais vu le jour.  Dans ce film inégal et tout en longueur, la réalisatrice française n’en avait clairement rien à faire ni à cirer de la danse, des fai...

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle p...