On ne parle ici d’éboulis, loin de là, mais d’une légère dépression, une petite pente qui déplaît à l’œil de lynx du voisin qui souhaite vendre sa belle propriété afin de profiter de ce marché surchauffé, soit un immeuble de cinq logements.
Ça vaut combien, un quintuplex ? « Cher ! », dirait mon frère.
Tout de go, après quelques minutes de discussion seulement, les ego masculins des fiers propriétaires concernés se sont gonflés, les torses se sont bombés, pas moyen de communiquer, les avocats ont été appelés. « J’ai mis mes avocats là-dessus », m’a confié le propriétaire de l’immeuble où j’habite.
Les experts en la matière ont par la suite défilé, les uns après les autres, cela a duré des mois. Les menaces couraient, les onéreux appels d’avocats se multipliaient. Le permis de la ville aurait été accordé, prétend-on, la décision fut prise : abattage des sept arbres.
Il y avait pourtant « d’autres solutions possibles », poursuit le proprio. « Non! », aurait tranché l’homme d’à côté à la poursuite « civile » facile.
La mort en direct, sur le terrain
Des mois plus tard, la compagnie de tuerie des arbres est arrivée sur le plancher des vaches dans Hochelag pour ledit carnage. Ils ont extirpé leur attirail de leurs camions sales : des outils, des cordes, des harnais, des grosses bottines flanquées de précieux pics, d’impressionnantes scies mécaniques.
Des hommes habiles comme de grands singes ont rapidement grimpé dans les érables, pour exécuter les ordres pis les arbres, pendant que nous autres, locataires impuissants comme des animaux pris dans leurs cages, assistions à la destruction de notre modeste mais joli paysage.
Perché bien haut, un jeune homme entama les travaux, s’affairant à l’abominable tâche. Beau mec, athlétique, corps musclé, cheveux long (bref, Tarzan en personne), il se balance remarquablement entre les arbres, vole gracieusement d’une branche à l’autre, sans effort apparent, me salue même aisément à ma fenêtre au passage.
Beau bonhomme, certes, mais ces apparences fort aguichantes ne trompent personne. Ce brillant danseur ailé, voltigeant à gauche pis à droite, déployant son ballet aérien entre les branches, est en réalité un matador. Il tue en série, découpe sans répit, coupe, tranche, scie, dépèce branche après branche, abat « nos » arbres, convaincu de son rôle de sauveur dans ce décor insupportable.
Sans émotion aucune, il balance les restes, les retailles et les billots, des morceaux de branches et de tronc, avec la grâce et la précision d’un gymnaste olympique, tout en faisant des blagues avec ses camarades qui, en bas, attendent, eux, les corps morts pour mieux les pulvériser encore.
De nos balcons respectifs, on observe le matamore pis sa gang à l’action, le seigneur de la jungle démolissant toutes traces de vie sur son passage. La mort en direct fut totale, brutale. La scène, elle, sordide, d’une tristesse inouïe.
En quelques heures à peine, sept arbres centenaires furent ainsi détruits, partis en poussière, chers amis. Oui, il aurait fallu des funérailles.
« Adieu, chers arbres ! », soufflais-je seule dans mon pitoyable 3½, les larmes aux yeux, en guise de cérémonie d’adieu. Adieu les branches qui valsaient au vent, adieu les feuilles qui jouaient sa musique éolienne. Adieu aux changements de couleurs, aux mouvements des saisons qui se déclinaient sous nos yeux. Adieu les oiseaux, les moineaux, les cardinaux. Au revoir "maudits" écureuils, bye les insectes, les fourmis, les coccinelles et les autres bibittes qui fréquentaient cette mini-forêt de ce mince bout de terrain.
Par la même occasion, au diable les pauvres et les simples locataires ! La seule richesse qui brillait ici siégeait dans cette rangée d’arbres multicolores, formant tantôt un rideau vert nous protégeant du vacarme de la ville et du bruit, tantôt un écran de couleurs nous tenant loin du monde sale, horripilant et violent.
La symphonie des feuillus a bel et bien disparu. Le danseur élégant et élancé aussi. Ne reste qu’une complainte de mort qui émane discrètement des bases d’arbres qui gisent là, au seuil de l'immeuble, comme des carcasses qui pleurent en silence. Ne reste que le bruit infernal des chars qui passent, ou celui du voisin assassin qui siffle fièrement devant son énorme BBQ, heureux d’avoir remporté sa grosse bataille de mâles. C’est du beau, idiot, et à quel prix, abruti.
La nature pis les pauvres payent de nouveau pour ces inter-minables guerres d’ego. La mort de la nature, la décapitation d'immenses arbres, pour une autre ridicule histoire « de clôture ».
Faire abattre SEPT arbres centenaires à Montréal, faut clairement être malade. Prions ensemble le seigneur de la jungle pour qu’il revienne, non pas danser sur les tombeaux mais bien recoller les morceaux.
***
Avis de décès : Sept arbres en excellente santé sont morts dans l’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve, laissant dans le deuil de nombreux proches, voisins, simples citoyens, locataires à faibles revenus, quelques drôles de moineaux, beaucoup d’oiseaux aussi, des insectes, des bibittes pis d’autres animaux. Comme nombreux locataires des immeubles avoisinants, les oiseaux cherchent eux aussi à se relocaliser dans le quartier mais, faute de logements abordables ou d’arbres suffisants, tous ces êtres vivants souffrent directement et indirectement de la crise du logement et de la cupidité de fiers propriétaires immobiliers, à la fois très prospères et franchement destructeurs pour toute une communauté.
------
Crise du logement – Loyers en folie / Se loger seule avec un petit revenu / La crise du logement se répand ... etc., etc., etc.