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Être ou ne pas être… libre


Dans la vie, ou bien t’as du temps, ou bien t’as de l’argent. T’as rarement les deux en même temps. Généralement parlant, s’entend. Ces temps-ci, moi, j’ai beaucoup de temps. Je gagne juste assez d’argent pour payer le loyer et de quoi manger. Pour le reste, j’en ai rien à cirer. Je suis maître et maîtresse de ma vie, the captain of my soul… Et non, je ne vis pas « au crochet » de la société - je vous emmerde.

J’ai commencé à vivre ainsi, il y a belle lurette, alors qu’on me cassait sans cesse les oreilles, de tous bords tous côtés, me priant d’arrêter de danser, de m’amuser, de voyager, de faire des folies, et de me trouver une vraie job. « Tu ne feras jamais d’argent comme ça », me disait mon grand frère, du haut de sa grosse job à Wall Street. « Pis so fucking what !? », ai-je rouspété pendant des années. D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours fait à ma tête (et à mes pieds). Je crois qu’on appelle ça un esprit libre. Mais quand on est une femme, c’est souvent autre chose. Bref, le père et le frère se sont enlevés la vie alors qu’ils étaient millionnaires, et même multimillionnaires. Je me répète peut-être, mais l’argent ne fait le bonheur, il ne guérit pas non plus la dépression majeure. J’ai appris ça à l'âge de 19 ans. Une sacrée belle leçon de vie, vous ne trouvez pas ?

Depuis, c'est-à-dire pendant trois décennies, on m’a répété maintes fois que j’avais une tête de cochon, un esprit de contradiction. Si ça signifie ne pas suivre le troupeau, certes, j’en conviens. Je suis même d’accord avec cette affirmation. Je préfère encore vous observer aller, vivre dans l’angle mort de la société, là où survivent les pauvres, les indigents, les nobodies, et les autres qu’on a sciemment abandonnés, que de jouer le jeu de la société, de me plier aux règles, de m’y soumettre. Le prix est beaucoup trop élevé. Plutôt mourir.

Un fonctionnaire m’a demandé l’été dernier : « Comment se passe votre recherche d’emploi ? » « Ma recherche d’emploi ? » Mais ça ne va pas la tête…

Un autre homme m’a demandé dernièrement, dans un contexte professionnel, si je pouvais lui envoyer une photo de moi. « Une photo de moi ? » Mais pourquoi, bon sang, aurais-je une photo de moi ? Je n’ai jamais pris de selfie de ma vie… Et sincèrement, je ne comprends ni l’idée ni même l’utilité. J’essaie de me débarrasser de mon ego, pas de le prendre en photo ! … À quel moment on a décidé que la face de l’agent d’immeuble sur la pancarte était plus importante que la maison à vendre elle-même ? Clairement, je ne comprends rien à notre société. J’essaie seulement de me l’expliquer…

J’ai pris une photo cette semaine des arbres que j’admire de mon balcon, là où je nourris mes amis les oiseaux, tout simplement parce que les rayons du soleil perçaient les multiples teintes de jaune des feuilles d'érable. De l’or en barre, pensais-je alors. Trois jours plus tard, elles n’y étaient plus. Elles avaient disparu, emportées par des vents violents. « Heureusement que t’as pris une photo, ma belle… Elles sont parties. Elles n’existent plus. » C’est comme ça, tout passe, tout s’envole. Elles périssent maintenant sur le terrain du voisin. Et je n'aurai même pas à les ramasser. Qui, vous croyez, en a le plus profité ?

Hier, à la méga-grosse-manif pour la planète à Montréal, des gens m’ont demandé de prendre un selfie avec eux, j’ai accepté. Non pas que je sois une personne importante, influente ou une grosse vedette (c’était plein de maudites vedettes, et quelques artistes aussi quand même), mais bien parce que j’étais déguisée. Oui, oui, déguisée. Ce n’est donc pas ma face qu’ils voulaient, mais le masque, le personnage… accompagné d'un important message. Pour la cause, j’ai embarqué dans leurs photos et leurs cellulaires, sans jamais prononcer un mot. Sans doute que des dizaines de gens ont mis ça sur leur Facebook, qu’en sais-je. Là encore, j’en ai rien à foutre.

Pour ma part, j’avais vraiment envie, en mon for intérieur, de faire cette prestation, d’incarner la mort. Je l’ai faite, un point c’est tout. Mission accomplie. Même que les plus pockés de la société semblaient les plus touchés par ce personnage enveloppé de noir. Un homme, que je soupçonne être itinérant, m’a jasé ça comme si on était les seuls illuminés au monde, les seuls à connaître la vérité, à présager ce qui s’en venait. Allez savoir, aujourd'hui, c'est qui le fou du village, le président et la méchante sorcière. « Lock her up! Lock her up!  », ne cessent de scander ces imbéciles.

Une journaliste m’a demandé si je parlais. D’un mouvement de la tête, j’ai fait signe que non. « Parce que vous êtes la mort ? », poursuivit-elle. Oui, répondis-je, là encore, d'un hochement non-verbal. « Mais il y a de l’espoir puisque vous portez une fleur ? » Pas de commentaire. Ni de tête, ni de corps, ni rien. Vous voyez ce que vous voulez, ma p'tite dame.

Après cette performance artistico-politique intitulée « La mort in situ… pour la planète », j’ai retrouvé ma vie ordinaire et ma faim insatiable en retirant tout simplement mon masque. Et vous ? Quand enlevez-vous le vôtre ?

« All the world's a stage, and all the men and women merely players... »
- William Shakespeare

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