Passer au contenu principal

La vulgarité (plus ou moins) silencieuse


Lors des dernières élections au Québec, en 2018, j’avais passé quelques heures au bureau de ma circonscription à faire du pointage. Essentiellement, cela consiste à appeler les gens pour leur demander pour qui ils ont l’intention de voter, carrément. 

Je l’avais écrit alors : « il y a des observations intéressantes à faire sur la psychologie de l’électorat. » (Le terrain, le terrain, le terrain…

Outre les nombreux problèmes méthodologiques entourant ces techniques de pointage tout comme ceux, peu fiables, des sondages, une chose est sûre : beaucoup, beaucoup d’électeurs refusent de répondre à la question. 

Je n’ai évidemment pas de chiffres pour appuyer mes observations, mais laissez-moi vous dire que cette proportion est loin d’être négligeable. Plein de gens ne veulent pas divulguer cette information, leur vote étant personnel, secret. 

Sans doute est-il plus facile d’obtenir la vérité ou d’extirper une réponse claire et précise en demandant aux gens, par exemples, « combien de fois faites-vous l’amour par semaine? » ou « combien d’orgasmes atteignez-vous chaque semaine? ». Les gens répondent sûrement, disent peut-être la vérité. 

Mais leurs intentions de vote, ça ? Non madame. Trop intime. 

Par ailleurs, les gens mentent constamment. (Même au téléphone, ça s'entend.) Pour tout et pour rien. Non seulement les êtres humains ne disent pas tout, mais ne révèlent pas toujours la vérité, que ce soit à leurs meilleurs amis, à leur famille, leur médecin ou même au curé à l’église. 

Pourquoi en est-il ainsi ? Il existe plein d’études, de recherches et de livres sur le mensonge, mais, entre autres choses, la honte. 

La honte est un puissant sentiment qui fait taire l’être humain. Lorsqu’on éprouve de la honte, on prend habituellement son trou, on tait alors la vérité ou les faits, garde le tout dans son coffre-fort intérieur, tapi le plus longtemps possible. On est même prêt à mentir pour ne pas éprouver la honte de dire. On écarte, consciemment ou non, on balaie en-dessous du tapis de la bonne morale d’apparence. 

Et la vérité est qu’un nombre très important d’Américains aiment ce clown exalté qu'est Donald Trump. Ils apprécient clairement son « style », eux, sa manière de faire, sa cruauté, sa vulgarité, son narcissisme fini, ses mensonges pour parvenir à ses fins (parce que ça sonne vrai), ses 1001 façons de choquer le monde entier, sa brutalité, son absence totale de délicatesse, et le reste, même si tout cela est tout à fait incompréhensible pour les autres. 

Il ne faut pas non plus minimiser le facteur « célébrité ». L’émission de télévision The Apprentice a été un énorme succès américain qui a servi à dorer (et continue à le faire) l’image glorieuse de cet « homme d’affaires » impitoyable, ce « magnat » de l’immobilier qui a « réussi » sur la grosse scène internationale, même s’il s’agit d’un homme malhonnête, prétentieux, monstrueux. 

Money, money, money, money… Les gens adorent encore ça, les « parvenus », les gangsters, les mafiosos, les gens impudiques ou indécents qui parviennent impunément à leurs fins. Et Trump incarne tout cela, ce rêve américain du libre marché, leur rêve secret, intime et bien gardé. 

Trump incarne et met en scène leur propre vulgarité, leur propre brutalité, leur misogynie, leur racisme silencieux et le reste que personne n’ose réellement s’avouer, un passage à l’acte qu’ils admirent mais n’osent ouvertement ou totalement exprimer. Trump est ce passage à l'acte bestial, "présidentiel" qui plus est, sans retenue, censure ni représailles.

Un peu comme les « égouts sociaux » en fait. Alors que plusieurs y voient là les avantages d’être connecté, de réseauter, de « sonder » les autres, je n’y vois pour ma part qu’une manière de plus de déverser son fiel, sa rage, de laisser libre cours aux zones d’ombre de la psyché humaine. Et non, ce qui en surgit est rarement beau. C’est même plutôt laid, sauvage, brutal, cruel. 

Mais des trolls, des intimidateurs, des gens qui aiment, incarnent et adorent le chaos, il y en a partout. Et plusieurs, oui, plusieurs les admirent secrètement, ou très ouvertement.

Vulgarité : « Caractère de ce qui est courant, commun au plus grand nombre; caractère de ce qui est prosaïque, terre à terre. / Caractère de ce qui est vulgaire, de ce qui manque de distinction, de délicatesse, de ce qui choque la bienséance. / Manière grossière de parler, de se conduire qui révèle un manque d'éducation, de réserve. » 

La « grande masse du peuple » américain a parlé. Et la « grande masse du peuple » américain apprécie clairement Trump pour son manque de réserve et d’éducation, pour sa vulgarité. Il s’identifie à lui, quoi qu’on en pense, ou en dise. 

C’est sans doute dans l’air du temps, tout comme dans l’ère des égouts sociaux : la mise en scène et la glorification des intimidateurs orduriers. 

*** 

 « C’est à la volonté de communiquer honnêtement que se mesure l’honnêteté »
– Sam Harris, Mensonges (Cherche midi, 2017)

Messages les plus consultés de ce blogue

Le Prince et l’Ogre, le mauvais procès

Poursuivi en justice pour des agressions sexuelles et des viols qu’il aurait commis à l’endroit de plusieurs femmes, un homme connu du grand public subit un procès. Dans le cadre de ces procédures, des témoins défilent à la barre. Parmi ceux-ci, des amis de longue date, des proches, des collègues et d’anciens collaborateurs venus témoigner en faveur de l’accusé. Tous soulignent sa belle personnalité, le grand homme qu’il a toujours été. Ils le connaissent bien ; cet homme n’est pas un agresseur. Au contraire, il a toujours joui d’une excellente réputation.  C’est un homme « charmant, courtois, poli et respectable » tant envers les hommes que les femmes, répéteront-ils. Il est « un peu flirt », certes, « comme bien d’autres ». Mais personne n’a souvenir qu’on ait parlé en mal de lui. Jamais. Parfois, il est vrai, il a pu se montrer insistant envers quelques femmes, affirmera lors d’une entrevue un excellent ami depuis le Vieux Continent. Mais on pa...

Les Grands Ballets canadiens et la guerre commerciale américaine

La guerre commerciale «  made in USA  » est commencée. De toutes parts, on nous invite à boycotter les produits et les services américains. Quoi ? Vous songiez aller en vacances aux États-Unis cette année ? Oubliez ça ! Il faut dépenser son argent au Canada, mieux encore, au Québec. Dans ce contexte, on nous appelle également à boycotter Amazon (et autres GAFAM de ce monde) ainsi que Netflix, Disney, le jus d’orange, le ketchup, le papier de toilette, etc. – nommez-les, les produits américains –, en nous proposant, et ce un peu partout dans les médias québécois, des équivalents en produits canadiens afin de contrer la menace américaine qui cherche ni plus ni moins à nous affaiblir pour ensuite nous annexer. Les Américains sont parmi nous  Pourtant, les Américains sont en ville depuis longtemps. Depuis 2013, en effet, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) offrent une formation américaine ( in English, mind you , et à prix très fort qui plus est) sur notre territo...

«Boléro» (2024), l’art de massacrer la danse et la chorégraphe

  Réalisé par Anne Fontaine ( Coco avant Chanel ), le film  Boléro  (2024) porte sur la vie du pianiste et compositeur français Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) durant la création de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre, le  Boléro , commandé par la danseuse et mécène Ida Rubinstein (Jeanne Balibar). Alors que Ravel connait pourtant un certain succès à l’étranger, il est néanmoins hanté par le doute et en panne d’inspiration.  Les faits entourant la vie de Maurice Ravel ont évidemment été retracés pour la réalisation de ce film biographique, mais, étrangement, aucune recherche ne semble avoir été effectuée pour respecter les faits, les événements et, surtout, la vérité entourant l’œuvre chorégraphique pour laquelle cette œuvre espagnole fut composée et sans laquelle cette musique de Ravel n’aurait jamais vu le jour.  Dans ce film inégal et tout en longueur, la réalisatrice française n’en avait clairement rien à faire ni à cirer de la danse, des fai...

« Femme Vie Liberté » Montréal 2024 (photos)

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour le port « inapproprié » de son voile, le mouvement iranien « Femme Vie Liberté » se poursuit...  ----- Photos  : Sylvie Marchand, Montréal, 15 sept. 2024  À lire  :  Malgré la répression, de nombreuses Iraniennes ne portent pas de hijab ( La Presse , 14 sept. 2024)  Iran : deux ans après la mort de Mahsa Amini, la répression « a redoublé d’intensité » (Radio-Canada, 15 sept. 2024)

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle p...