Lorsque Charles Darwin partit à la découverte du monde et de ses habitants naturels, lors d’un long périple à bord du Beagle dans les années 1830, il remplit de nombreux cahiers et calepins de notes et d’observations les plus diverses. Le brillant naturaliste anglais remarqua entre autres, dans les îles Galapagos, que chez une même espèce d’oiseaux, certains individus avaient pourtant un bec plus long que d’autres. Pourquoi en était-il ainsi ? Parce que les fleurs sur quelques-unes de ces îles où habitaient ces oiseaux, nota Darwin, étaient tubulaires. Ces oiseaux s’adaptèrent donc graduellement à leur environnement, afin de pouvoir puiser le bon nectar.
C’est-y pas beau, ce détail de la vie sur, justement, l’intelligence de la vie ?
Il en est de même chez les êtres humains. La majorité des individus de notre espèce s’adaptent habituellement au changement comme à leur environnement, lentement, graduellement, silencieusement.
Or, UN des problèmes avec les humains – je dis bien UN, car ils sont multiples – lorsqu’ils font face à un changement brusque, draconien ou radical, c’est l’émergence d’un mécanisme bien connu en psychologie comme en psychanalyse, nommé par cette dernière : la résistance au changement.
Contrairement aux oiseaux, les individus de l’espèce humaine sont psychiquement habités de nombreux mécanismes de défense potentiels qui sortent de l’ombre de l’inconscient ou sont davantage mis de l’avant, voire renforcés, lorsqu’ils se retrouvent face au changement. Cette réaction exige forcément beaucoup d’énergie. Car résister à quelque chose, quoi qu’elle soit, ça demande un effort (physique, mental, etc.) et donc une forte hausse énergétique que l’on peut, par exemple, canaliser dans des manifs « anti-mesures gouvernementales ». C’est une simple forme de résistance au changement.
Or, pendant que nombreux médias et chroniqueurs-vedettes servent de porte-voix à cette minorité de complotistes, de « résisteux », et autres bruyants réactionnaires réfractaires aux mesures sanitaires comme au port du masque, ce que l’on peut également voir, observer et même noter tranquillement sur le terrain des ménages québécois, ce sont des gens qui s’adaptent.
On voit des individus qui, depuis le début de cette crise sanitaire, face à tous ces changements, ces menaces, risques, dangers, dérapages ou débordements, s’adaptent, eux, silencieusement.
Des gens qui, au cours des derniers mois, n’ont pas cessé de faire des choix, de s’adapter à leur nouvelle réalité. Des gens qui revoient leur plan de carrière, s’achètent des meubles pis des chaises confortables pour leur télétravail, révisent la liste de leurs priorités, organisent leur vie en fonction de celle-ci, mettent de l’ordre dans leur maison et en place l’horaire de travail idéal.
Des gens qui pensent au présent comme à l’avenir, qui songent à quitter la ville ou carrément déménagent, des gens qui cuisinent et popotent en masse, des personnes qui prennent leur température tous les jours, d’autres qui ont tellement peur de contaminer les autres, d’être asymptomatiques et responsables d’une éclosion, pire, de la mort d’un proche qu’ils restreignent eux-mêmes leurs propres sorties, visites et contacts avec autrui, incluant les membres de leur propre famille.
En somme, on peut voir et entendre des gens consciencieux, des gens tout à fait responsables, préoccupés, certes, par la situation, la pandémie, l’économie, et le reste, mais assez calmes, posés et raisonnables pour comprendre qu'il faut faire avec, qu’on en a encore pour un boutte à vivre ainsi, de même qu’un énorme effort collectif à faire qui passe nécessairement par l'effort individuel. On est membre et solidaire avec notre espèce.
Et c’est ça, précisément, l’adaptation. Cela exige de faire, de se déplacer, de décider, de se comporter en fonction de cette nouvelle réalité, le temps qu’il le faudra, afin d'y trouver notre bon nectar.
Notre bec ne sera pas plus long dans quelques mois, mais en attendant une solution, un remède ou un vaccin, on porte tout simplement un masque. Bref, on s’adapte.
Et je crois même que cela représente une majorité de l’espèce humaine, du moins dans mon coin de pays, qu’on appelle habituellement, la majorité silencieuse. Le reste, chers amis, c’est beaucoup de bruit pour rien.
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Photo : S. Marchand, « Le chien mexicain sur Ontario », art mural dans Hochelag, Montréal, 12 sept. 2020.