C'est avec une impatience presque frénétique que j'attendais ce livre réservé à la bibliothèque en décembre dernier : Le bal des folles, de Victoria Mas (Albin Michel, 2019 - Prix Renaudot des Lycéens). Car depuis cette brève recherche sur l’enfer de la Salpêtrière qu’ont vécu les femmes durant les XVIIIe et XIXe siècles – Ordre vs désordre (2) –, je ne peux plus m’arrêter.
Le roman est très bien, superbement écrit, concis ; ça se dévore en quelques heures. On tourne les pages comme s’il s’agissait d’un polar. C’est intriguant, palpitant, excitant… et c’est justement ça le problème.
La vie des femmes internées dans cette prison-asile-hospice était beaucoup plus dure, beaucoup plus cruelle en réalité. « Oui, bon, d’accord, c’est un roman, bordel ! » me direz-vous. Certes, je suis d’accord avec vous. On ne fait donc que se tremper le gros orteil dans ce bain asilaire, cette prison pour femmes insoumises et dérangeantes, à l'instar des bourgeois de l'époque qui allaient au bal de la mi-carême, histoire de voir de près ce cirque de femmes sauvages et hystériques, peut-être même apercevoir « une crise » ou bien une nymphomane déguisée en marquise, afin d'en jaser le restant de l'année avec leurs amis branchés du Tout-Paris.
Car dans le roman, en effet, et c'est ce qui semble étrange, on a presque envie d’y être, de vivre parmi ces femmes aliénées enfermées contre leur gré (sauf exceptions). On aurait envie d’habiter là, avec ces folles, à l’asile. On aurait le goût de tricoter avec Thérèse, de discuter avec Geneviève, d’en savoir un peu plus sur les ambitions d’Eugénie, de se promener dans le jardin, de mémérer à propos de tout et de rien, bref, de vivre dans ce nid de coucou où la colère et la révolte des femmes doivent demeurer silencieuses.
Mais si toute la vérité vous intéresse, si la vraie réalité ancrée dans les faits, les documents d’archives et de rares journaux intimes parvenus jusqu’à nous vous titille vous aussi la nuit (??), je vous conseille alors, pour compléter la lecture du roman, les ouvrages de l’historienne française Yannick Ripa, à commencer par La ronde des folles : femme, folie et enfermement au XIXe siècle, 1838-1870 (Aubier, 1985). Tous ses livres, d’ailleurs, sont de véritables bijoux d’informations ; la recherche, la rigueur, les données, les détails, bref, pour les têteux comme les curieux, c’est tout simplement savoureux. (Avis aux intéressés : Un texte récent de Ripa, dans Libération, porte sur le livre « Femmes de presse », les femmes en journalisme. Je dis ça comme ça.)
Je ne vous dévoilerai donc pas le punch du roman Le bal des folles, vous le lirez sûrement. Et si ce bouquin permet au moins à certains de découvrir enfin l’abus de pouvoir des médecins-aliénistes de l’époque, qui propageaient des théories misogynes sans aucun fondement scientifique, en plus de la domination masculine, de la place beaucoup trop puissante des hommes – père, frère, mari, oncle, curé, enfoiré, etc. – dans la vie de ces prétendues aliénées, ça sera toujours un pas de plus dans la danse des femmes, féministe celle-là.
« L’asile, un "entre-femmes" où règne un homme seul, le tout-puissant "médecin-spécial", c’est-à-dire l’aliéniste. »
« En rien exceptionnel, le cas de Mlle L. illustre et les possibles détournements de la loi de 1838 à des fins répressives et la psychiatrisation des comportements déviants féminins. Une voie de fait contre les forces de l’ordre mène un homme en prison, une femme en asile. […] Une femme qui exprime son agressivité est une folle mais ce n’est pas d’oser l’exprimer qui est un acte fou, c’est d’être agressive et violente; ce sont des traits du caractère masculin. »
– Yannick Ripa, La ronde des folles : femme, folie et enfermement au XIXe siècle, 1838-1870
Les folles d'enfer de la Salpêtrière, de l’artiste française Mâkhi Xenakis (Actes Sud, 2004)
Une femme qui dérange est forcément dérangée
La danse, la folie et les femmes
La vie des femmes internées dans cette prison-asile-hospice était beaucoup plus dure, beaucoup plus cruelle en réalité. « Oui, bon, d’accord, c’est un roman, bordel ! » me direz-vous. Certes, je suis d’accord avec vous. On ne fait donc que se tremper le gros orteil dans ce bain asilaire, cette prison pour femmes insoumises et dérangeantes, à l'instar des bourgeois de l'époque qui allaient au bal de la mi-carême, histoire de voir de près ce cirque de femmes sauvages et hystériques, peut-être même apercevoir « une crise » ou bien une nymphomane déguisée en marquise, afin d'en jaser le restant de l'année avec leurs amis branchés du Tout-Paris.
Car dans le roman, en effet, et c'est ce qui semble étrange, on a presque envie d’y être, de vivre parmi ces femmes aliénées enfermées contre leur gré (sauf exceptions). On aurait envie d’habiter là, avec ces folles, à l’asile. On aurait le goût de tricoter avec Thérèse, de discuter avec Geneviève, d’en savoir un peu plus sur les ambitions d’Eugénie, de se promener dans le jardin, de mémérer à propos de tout et de rien, bref, de vivre dans ce nid de coucou où la colère et la révolte des femmes doivent demeurer silencieuses.
Mais si toute la vérité vous intéresse, si la vraie réalité ancrée dans les faits, les documents d’archives et de rares journaux intimes parvenus jusqu’à nous vous titille vous aussi la nuit (??), je vous conseille alors, pour compléter la lecture du roman, les ouvrages de l’historienne française Yannick Ripa, à commencer par La ronde des folles : femme, folie et enfermement au XIXe siècle, 1838-1870 (Aubier, 1985). Tous ses livres, d’ailleurs, sont de véritables bijoux d’informations ; la recherche, la rigueur, les données, les détails, bref, pour les têteux comme les curieux, c’est tout simplement savoureux. (Avis aux intéressés : Un texte récent de Ripa, dans Libération, porte sur le livre « Femmes de presse », les femmes en journalisme. Je dis ça comme ça.)
Je ne vous dévoilerai donc pas le punch du roman Le bal des folles, vous le lirez sûrement. Et si ce bouquin permet au moins à certains de découvrir enfin l’abus de pouvoir des médecins-aliénistes de l’époque, qui propageaient des théories misogynes sans aucun fondement scientifique, en plus de la domination masculine, de la place beaucoup trop puissante des hommes – père, frère, mari, oncle, curé, enfoiré, etc. – dans la vie de ces prétendues aliénées, ça sera toujours un pas de plus dans la danse des femmes, féministe celle-là.
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« L’asile, un "entre-femmes" où règne un homme seul, le tout-puissant "médecin-spécial", c’est-à-dire l’aliéniste. »
« En rien exceptionnel, le cas de Mlle L. illustre et les possibles détournements de la loi de 1838 à des fins répressives et la psychiatrisation des comportements déviants féminins. Une voie de fait contre les forces de l’ordre mène un homme en prison, une femme en asile. […] Une femme qui exprime son agressivité est une folle mais ce n’est pas d’oser l’exprimer qui est un acte fou, c’est d’être agressive et violente; ce sont des traits du caractère masculin. »
– Yannick Ripa, La ronde des folles : femme, folie et enfermement au XIXe siècle, 1838-1870
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À lire / en lien :Les folles d'enfer de la Salpêtrière, de l’artiste française Mâkhi Xenakis (Actes Sud, 2004)
Une femme qui dérange est forcément dérangée
La danse, la folie et les femmes