Oui j’ai remarqué le changement. Je l’ai tout de suite vu pendant l’annonce promo en regardant les nouvelles avec Céline Galipeau (Céline! Céline! Céline!). Sur-le-champ, j’ai pensé : « N’importe quoi », accompagné d’un sacre ou deux. En gros, simonaque que ça ne vole pas haut. C’est décourageant et d’un ridicule, d’une absurdité qui fait mal à mon féminisme, mon humanisme et mon progressisme (le vrai là).
En septembre dernier, mon coup de gueule Deux hommes en or, deux femmes invisibles portait sur la faible présence des femmes dans le créneau « les vraies questions ». Du même coup, sans la nommer, j’avais écorché l’émission Le beau dimanche « dans laquelle monsieur trône derrière son beau bureau à l'American talk-show, tandis que madame, elle, est assise à l'écart, quelque part sur le sofa, symbole des femmes et des minorités visibles en retrait de la discussion, des vrais enjeux... aïe, aïe, aïe, mais c'est quoi ce bordel? »
Et voilà que dimanche dernier, lors de la première (qu'on a écoutée juste pour garder un œil sur Taillefer - voir Porter à gauche, à droite, comme à l'extrême centre), on constate que madame a effectivement changé de place et de bord. Fallait le dire apparemment. Elle est maintenant assise sur une chaise droite à coté de monsieur qui trône toujours derrière son beau bureau à l'American talk-show. Aïe, aïe, aïe, on recommence…
On ne parlera même pas du nombre de "femmes vs hommes" sur le plateau ou même du contenu, à quoi bon. En revanche, essayons un exercice bien simple de visualisation, et tentons d’imaginer l’inverse un seul instant – je sais, c’est difficile, mais faites l’effort une nanoseconde : la femme assise derrière son beau bureau à l’American talk-show pendant que monsieur, lui, serait assis à côté du gros bureau, sur une chaise droite, identique à celle des invités, comme s’il était son secrétaire et qu’il devait prendre des notes pour madame à la sténo… Impossible, right ? Inimaginable ? Inconcevable ? Insupportable ? Quoi, ça vous fait mal à l’intérieur ? Ça ne passerait jamais ? Ni dans l’imaginaire ni à TV ?
Et pourtant c'est ce que vous nous servez. C’est ce qu’on nous demande sans cesse de faire, à nous les femmes, d’accepter cette piètre réalité de second rôle, de co-pilote, de complice, sinon d’être totalement absente du plateau - dois-je à nouveau nommer ces émissions à deux hommes ? -, bref, de se tenir à l’écart, de servir de postiche, d’accessoire, de marionnette ou de plante verte.
Non seulement ça ne passe pas, ni visuellement, encore moins symboliquement (urgh!), mais en plus, vous avez l’air de vouloir mettre une femme, Mme Makonnen oui, une femme intelligente, connaisseuse, pertinente, articulée, capable de débattre, d'écouter, de poser les vraies questions, qui pourrait très bien, à elle seule, piloter cette émission, voire être la reine de la télévision, simplement pour faire grimper vos chiffres de la parité et de la représentation des minorités ethniques - tout à coup que La Presse ferait un autre bilan…
Disons-le clairement, dans cette nouvelle disposition, madame a l’air de la secrétaire particulière à monsieur - j'espère au moins qu'elle a le même salaire -, alors que, entre vous et moi, elle pourrait très bien être la patronne… Alors oui, ça détonne. Ça jure, ça fait même grincer des dents.
La solution est pourtant simple. Ou bien vous assumez, messieurs les producteurs et autres décideurs (sans doute tous des hommes blancs, qu’en sais-je), et vous faites votre classique American talk-show, puisque c’est là le concept, avec monsieur trônant derrière son beau bureau. Point. Ou bien vous trouvez une table (simonaque), un grand bureau avec deux chaises identiques, et installez monsieur et madame ensemble, pilote et co-pilote, comme dans un avion ou Les échangistes.
Car ça pique du nez cette image. C'est intenable, imbuvable, et qui veut ça pour le restant de la saison. D’autant plus que la co-pilote risque à elle seule de faire lever le show.