Si savoir c'est pouvoir, les indigents ne sont pas près de reprendre du poil de la bête et de se sortir de leur situation merdique. Non seulement le fossé, on le sait, ne cesse de se creuser entre les pauvres et les richissimes, mais en plus, seuls les opulents, les riches entreprises et la fameuse classe moyenne intéressent les décideurs, les politiciens et autres puissants acteurs de l’économie.
À ce propos, le philosophe Alain Deneault écrit, dans Politiques de l’extrême centre (Lux, 2016) : « Il n’y aurait lieu d’exister diversement que dans la "classe moyenne". Ainsi, un lecteur assidu de La Presse ou un fidèle de Radio-Canada ignore toujours de quoi est fait le quotidien d’un assisté social au Québec. Comment se débrouille-t-on avec un revenu de 623 dollars par mois, qui plus est dans le mépris généralisé? »
On l’expliquerait volontiers, mais la réalité est, justement, que tout le monde s’en fout éperdument. L’indifférence, voilà la réelle violence.
J’ajouterais par ailleurs que l’inverse est aussi vrai. L’assisté social et les pauvres en général ne savent plus de quoi est fait le quotidien La Presse, les dossiers « chauds » et nombreux articles des chroniqueurs vedettes étant dorénavant réservés à La Presse+, dont l’accès nécessite une tablette électronique.
« Pis ça! What's the big deal? », lanceront certains. Cela en surprendra peut-être quelques-uns, mais un panier de denrées périmées coûtant généralement 3$ au centre d’aide alimentaire de votre quartier, qui, bon sang, a les moyens d'avoir une tablette après avoir payé le loyer, l'électricité et, lorsque possible, quelques titres pour le transport en commun. Nos ordis ne datent pas d'hier, et non, on a ni le dernier iPhone ni le premier. Bref, la question n'est pas, chez les indigents, En as-tu vraiment besoin? mais bien En as-tu les moyens?. La réponse est non. D'entrée de jeu, le dossier est réglé. Pas besoin d'un livre comptable pour nous l'expliquer.
Or contrairement aux milléniaux, vers qui se dirige systématiquement l’information apparemment, certains d’entre nous allons toujours vers elle, la vraie, celle vérifiée deux fois plutôt qu'une. Fuck Facebook et les médias qui manquent de rigueur, répandant leur poudrerie explosive approximative sur les réseaux sociaux.
Ainsi, les pauvres, opérant au quotidien sans tablette, sans câble et de moins en moins de journaux papier disponibles à la bibliothèque municipale ou au café du coin, ont droit à l’information publique et celle qu’on veut bien leur donner sur internet, entre autres exemples, 10 articles gratuits mensuellement dans Le Devoir - à consommer avec modération donc, freinant au maximum svp vos élans de curiosité.
Oui, on le sait, les modèles d'affaires ont changé, ont dû évoluer. Comme tout organisme vivant, il faut s'adapter pour ne pas mourir et disparaître de la chaîne alimentaire ou du marché. La précarité (on sait aussi ce que c'est) affecte plus que jamais les journaux et les médias écrits, se battant contre des géants américains qui engloutissent crânement les revenus publicitaires. On est pauvres, pas ignorants (enfin, pas totalement) d'où notre besoin, on l'espère, de se tenir au courant, de demeurer informé.
Au final, la presse écrite n'a-t-elle pas tout simplement rejoint nos rangs, là où la survie, les iniquités et l’indifférence générale gouvernementale, voire le mépris absolu* des élu.e.s envers les plus vulnérables, est une affaire du quotidien. : :
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*Notamment l'adoption de la honteuse loi 70 au Québec, le 10 novembre 2016, par 76 membres de l'Assemblée nationale (contre 26), dont MM. Philippe Couillard (Roberval), premier ministre du Québec, chef du Parti libéral et son groupe, et François Legault (Assomption), chef de la CAQ et ses blancs députés. « Un jour sombre pour la dignité des personnes assistées sociales », concluait Françoise David.