Il y a dix ans cette année, je signais un bail avec un propriétaire d’immeubles à revenus dans Hochelaga-Maisonneuve (pas Homa, Hochelag’). C’était un homme en chair et en os. Avant de signer les documents, on s’était parlé dans le blanc des yeux. Un engagement, une signature, ce n’est pas rien. Ensemble, nous avions clarifié nos besoins et nos attentes. Nous avions mis les points sur les « i », les barres sur les « t ». Nous avions brièvement discuté, et puis, signé les baux devant un témoin (le concierge exécrable). Bref, c’était presqu’un mariage.
Ce propriétaire n’était pas parfait – tant s’en faut –, mais il était parlable. À tout le moins, il était joignable. Même après un délai certain, on finissait par communiquer, se parler, s’entendre et trouver des solutions concernant les multiples problèmes dans son « 16-logements » hideux, puisque Monsieur n’habitait évidemment pas sur les lieux.
Malheureusement, ce propriétaire a vendu son « multiplex » miteux d’Hochelag’. Le nouveau propriétaire est lui aussi un homme. Du moins sur papier. Il a un nom. On connaît son nom. Mais l’homme, lui, on ne l’a jamais vu ni même jamais parlé. Il n’y a d’ailleurs personne à qui s’adresser en cas de problèmes et d’urgences. Des numéros de téléphone, ça oui, on en a. Mais des réponses ? Oubliez ça.
Il n’y a donc plus d’humains, même imparfaits, à qui parler de vive voix. Il n’y a que des communications formelles, par voies postales et courrier recommandé. Depuis l’achat de cet énième immeuble à revenus, ce nouveau propriétaire est complètement absent, invisible, incommunicado. Seules existent des preuves de lui, de son existence, de ses nombreuses compagnies ainsi que de ses multiples dossiers de négligence immobilière – articles de presse concernant des avis de détérioration d’immeubles et demandes de permis de démolition refusées, etc. – vous voyez le genre.
Mais l’homme, lui, on ne l’a jamais vu. La majorité des locataires, d’ailleurs, n’ont jamais parlé à personne censé jouer le rôle de « locateur ». Pour ma part, je n’ai parlé à aucun être humain, ni reçu aucune visite, ni aucun retour d’appels depuis leur prise de possession en octobre dernier. Depuis plus de six mois, donc, il n’y a plus personne à qui parler pour s’occuper des locataires, pour répondre à nos demandes, à nos appels, pour entretenir les lieux, et le reste. Même le Relevé 31, que les propriétaires sont pourtant tenus d’envoyer pour fins d’impôts, n’a été reçu par aucun locataire dans l’immeuble. Là encore, pas de réponse.
En somme, Monsieur le propriétaire et ses maintes compagnies gèrent des « portes ». Selon nos informations, ils gèreraient quelque 800 à 900 portes… Et malgré ses nombreux dossiers de négligence immobilière, il a pu acheter un autre immeuble locatif. C’est du beau.
Dans ce contexte d’interminable « crise du logement », voilà ce que nous sommes devenus, nous, les locataires, des « portes », de simples numéros à gérer. Nous ne sommes plus des êtres humains avec des besoins. Il n’y a plus d’écoute, plus d’échange ni même d’humanité. Et les abuseurs s’amusent.
On nous dira qu’il y a des ressources, des lois, des règles et des règlements qui existent pour protéger les droits des locataires. Laissez-moi rire. C’est la jungle! Le marché locatif est un bordel depuis plusieurs années. Les abus de pouvoir sont partout. Juste pour visiter un logement, certains propriétaires n’hésitent pas à exiger un dépôt ou encore des informations illégales comme votre numéro d’assurance sociale.
En plus d’être très coûteuses et énergivores, entamer des procédures contre tous ces gens qui abusent de leur pouvoir est impossible. Dans ce marché locatif abusif du capitalisme sauvage, où la demande surpasse de très loin l’offre, les locataires sont devenus des numéros à gérer.
Or, derrière cette interminable « crise du logement », derrière ses « portes », il y a des gens. Il y a des êtres humains avec des besoins et des réparations à faire faire dans leur logement mal entretenu depuis plusieurs années. Il y a des humains avec un vécu, une histoire, des problèmes, une maladie ou autre réalité de la vie, qui, du jour au lendemain, à cause d’un minable propriétaire abuseur, voire frauduleux, tombent de haut dans la pyramide de Maslow. Se retrouvant maintenant en bas de l’échelle, ne sachant plus qui s’occupera de nous en cas d’urgence, ne se sentant même plus en sécurité dans ce minable logement d’Hochelag’, le stress des locataires est immense.
Non, nous, les locataires, ne sommes pas des « portes ». Nous ne sommes que des êtres humains qui, manifestement, depuis plusieurs années maintenant, ne pèsent pas lourd dans la balance.