Durant ce qu’on appela la « Belle Époque », jusqu’au milieu du XXe siècle, les femmes distinguées comme de la haute société, bourgeoises, aristocrates, élégantes dames et demoiselles issues de la noblesse, sortaient rigoureusement de la maison chapeautées. Les autres, elles, celles qui osaient se promener et pavaner en public sans chapeau, coiffure ni fichu, on disait alors de ces femmes qu’elles étaient « en cheveux ».
Pour illustrer, Simone de Beauvoir (1908-1986) écrivait, dans Mémoires d’une jeune fille rangée (1958) : « Quelques jours plus tard, je pris le thé chez Mademoiselle Roulin, avec qui je m’ennuyais ferme. En la quittant, j’allai à l’Européen [salle de spectacles parisienne] ; je m’assis, pour quatre francs, à une place de balcon parmi des femmes en cheveux et des garçons débraillés ; des couples s’enlaçaient, s’embrassaient ; deux filles lourdement parfumées se pâmaient en écoutant le chanteur gominé et de gros rires soulignaient les plaisanteries grivoises. »
On peut certainement l’imaginer, ces vilaines créatures féminines aux cheveux libres, et donc aux mœurs légères, que représentaient les « femmes en cheveux » dans l’espace public, fraternisaient assurément avec des « garçons débraillés » tout aussi peu recommandables. Qui se ressemble s’assemble, pas vrai ?
Dans les années 1960, toutefois, les têtes tant masculines que féminines vont se libérer de leur couvre-chef. Prenant naissance aux États-Unis, la contre-culture des hippies, avec leurs cheveux longs et hirsutes, incarnait ce mouvement contestataire, affichant par là même leur opposition à l’establishment. Pour les femmes, cette libération capillaire fut doublée d’une révolution sexuelle qui marqua le début de la seconde et féroce vague féministe.
Aujourd’hui, hormis lors d’événements spéciaux pour lesquels hommes et femmes vont alors s’endimancher et revêtir leurs plus beaux atours et chapeaux, les « femmes en cheveux » forment la norme en Occident. À l’exception, bien sûr, des très distingués membres de la famille royale britannique, et leurs invités, qui se démarquent généralement par le port de chapeaux originaux, hauts en couleur, voire inusités pour les femmes, ou encore de hauts-de-forme pour les hommes, symbole suprême d’autorité, de richesse et de prestige. Car la famille royale, comme on le sait, c’est pas mal l’incarnation de l’establishment.
-----
Photo : Sylvie Marchand, « Femme en cheveux », murale dans Hochelag’ (rue Ste-Catherine à l’angle du boulevard Pie-IX), Montréal.
(Cette murale, non titrée, a été réalisée par l’illustratrice Ola Volo.)