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L’art de freiner la mobilité durable


Le 18 avril dernier, plus d’un millier de travailleurs du milieu culturel sont allés manifester bruyamment devant les bureaux du ministre responsable de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, à Montréal. Parmi les slogans scandés : « Pas de futur sans culture » et « Les artistes, c’est pas gratis ! »  

Durant ce grand rassemblement réclamant une hausse des fonds accordés aux arts, la comédienne Sophie Cadieux a également pris la parole : « Nous avons cette satanée habitude de bétonner au Québec. Des lieux, des agoras, des salles, des scènes, des expériences, mais quand vient le temps d’habiter ces lieux, mystérieusement on n’a plus les moyens… »

Il est effectivement beaucoup plus facile (et payant) pour un politicien d’inaugurer un nouveau « centre des arts » quelque part au Québec, de couper un beau ruban, ou encore de prendre une jolie photo lors de la première pelletée de terre d’un projet, que d’annoncer des fonds qui serviront à animer lesdits lieux bétonnés, en l’occurrence des artistes qui feront vibrer ces institutions, donnant ainsi vie, et un véritable sens, au mot culture. 

Comme on sait, les arts et la culture au Québec, c’est beaucoup plus que la somme de toutes nos institutions culturelles. Ça prend des artistes pour rendre ces arts vivants. 

Maintenant, on pourrait dire exactement la même chose à propos de la « mobilité durable » – un concept fort intéressant sur papier, très populaire en ce XXIe siècle, et ajouté au nom du ministère en question par la ministre des Transports et de la Mobilité durable Geneviève Guilbault elle-même. 

Or, selon la ministre Guilbault, « L’État québécois n’a pas à gérer le transport collectif » : « "Gérer le transport collectif et les sociétés de transport, ce n’est pas une mission de l’État", a affirmé la ministre lors de l’étude des crédits budgétaires de son ministère. »

Là encore, on préfère se réfugier dans des valeurs sûres comme le béton, le ciment et de l’asphalte. Bétonner, construire et entretenir des routes, c’est visible, concret, comptable – comme ces « 31 000 km de routes à entretenir ». En revanche, cette culture du béton n’assure aucunement la mise en application ni la viabilité de la « mobilité durable ».

Pourtant, la mission et l’un des mandats du ministère des Transports et de la Mobilité durable est justement de « s’assure[r] du développement des systèmes de transport efficaces et sécuritaires », entre autres, « en investissant dans les projets et les mesures favorisant la mobilité durable au bénéfice d’une économie verte tels que le transport collectif et actif ».

À l’instar des arts et de la culture, la « mobilité durable » et « l’économie verte », tant prônée par le gouvernement caquiste depuis quelque temps, ne peuvent exister, prendre forme dans la réalité, sans que des humains l’incarnent, sans que des « projets structurants » durables viennent inciter les citoyens à changer leurs comportements, entre autres, leurs habitudes de transport. 

Mais, politiquement parlant, il est beaucoup plus profitable de promettre du béton, des routes et des ponts, de faire miroiter un onéreux troisième lien, que d’assurer une véritable transition énergétique. 

Cette fâcheuse habitude de bétonner au Québec sera nettement insuffisante pour cette transition énergétique tant attendue. Et l’urgence de la situation concernant le financement du transport collectif à travers le Québec n’est ni une fougère ni une plante verte. Elle requiert de tous les paliers de gouvernement courage, innovation, concertation et, surtout, une vision à long terme. 

Car comme usagers du transport collectif, nous devrons bientôt manifester dans la rue et scander tous ensemble : « Pas de futur sans transport collectif ! » et « La mobilité durable, c’est pas gratis ! »

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