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L'autre pénurie

Dans une épicerie près de chez vous, il n’y a pratiquement plus de caissières. Non pas par manque de personnel, mais bien parce que les dirigeants de ces grandes entreprises fort lucratives réduisent sans cesse les heures de travail de leurs employés. Cette tactique a pour but de « couper dans les dépenses » et, surtout, d’inciter les clients à utiliser les caisses libre-service. Comme clients, nous travaillons dorénavant pour eux. 

À l’instar d’un certain Starbucks à New York, dont les employés sont en « lutte pour des conditions équitables », les entreprises d’ici cherchent elles aussi par tous les moyens possibles à réduire les heures de travail de leurs employés, les laissant dans des conditions de travail toujours plus précaires et exécrables. Ne pouvant subvenir à leurs besoins de base avec un maigre emploi à temps partiel, plusieurs travailleurs n’ont d’autres choix que de quitter leur poste. Bye, bye, boss. Une roue sans fin dans la misère, la dèche et la précarité. 

Dans une Société des alcools (SAQ) près de chez vous, plusieurs bouteilles sur les tablettes ont depuis quelque temps été retournées. L’étiquette principale n’étant pas immédiatement accessible aux clients, le produit est plus difficilement identifiable. Il s’agit là d’un des moyens de pression des employés de la SAQ qui sont en négociations depuis plus d’un an et « sans convention collective depuis le 31 mars 2023 ». 

Plusieurs postes réguliers ont également été supprimés depuis janvier dernier, « contribuant [ainsi] à augmenter une fois de plus le nombre d’emplois précaires ». À la SAQ, 70% des employés sont à temps partiel pendant que le « nouveau patron de la Société des alcools du Québec (SAQ), Jacques Farcy, [lui,] va toucher un salaire de 528 215 $, sans tenir compte des bonis liés au rendement ». 

Ce montant est non seulement une insulte à l’intelligence des Québécois en général, mais une gifle en plein visage des employés à temps partiel qui peinent à subvenir à leurs besoins dans des conditions de travail déplorables. Bonsoir le respect des employés, des travailleurs, de la main-d’œuvre. 

Partout au Québec, bon nombre de travailleurs peinent pourtant à joindre les deux bouts, à payer le loyer, le chauffage et l’électricité, à manger à leur faim – à survivre, quoi ! –, faute d’heures suffisantes de travail et de conditions dignes de ce nom. 

Au lieu de parler ad nauseam de « pénurie de main d’œuvre », il serait grand temps de regarder la réalité en face et d’aborder les vrais problèmes liés à l’emploi, soit la dégradation perpétuelle des conditions de travail des employés, la précarité des emplois qui maintient les travailleurs et les travailleuses du Québec dans la pauvreté, la déshumanisation des ressources pourtant dites « humaines », le rendement à tout prix qui contribue à enrichir seulement le 1% et les mieux nantis de la société. En somme, il serait temps de parler de « pénurie de bonnes conditions de travail » au Québec. Car c’est de cela dont il est en réalité question sur le terrain des vaches maigres, pas de « pénurie de main-d’œuvre ». 

Les travailleurs québécois ne sont pas des imbéciles finis. Plus personne ne souhaite œuvrer, bosser, plancher et travailler à la sueur de son front, en bas de l’échelle sociétale, dans le mépris général et des conditions de travail minables, pendant que de grands patrons, eux, tout en haut de la pyramide de Maslow comme celle du capitalisme sauvage, se versent des « bonis au rendement », des dividendes et des augmentations de salaires faramineuses sur le dos, le rendement et la survie des employés.

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Photo : Sylvie Marchand, « Deux fumeurs, un livreur et une splendide murale d'une femme avec des fleurs  », ruelle de Bullion, Montréal (sept. 2023).

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