Cette même analogie pourrait très bien servir, aujourd’hui, à illustrer la violence qui prolifère sans gêne ni scrupules sur les réseaux sociaux. La haine, le mépris, la misogynie, les insultes, les menaces, l’intimidation, l’agressivité décomplexée, tout cela contamine le climat social et le débat public.
Et à vous regarder aller, chers amis concitoyens, c’est malheureux à dire, mais on s’inquiète sérieusement du tissu social, de l’environnement socio-affectif dans lequel nous baignons tous.
Vu de l’extérieur
Certains d’entre nous ne sommes ni actifs ni même présents sur les réseaux sociaux – sorte d’irréductibles Gaulois aux relations et communications virtuelles. Et pourtant, même si on ne navigue aucunement dans les eaux troubles de ce gazouillage incessant, on est au courant de ce qu’il s’y passe. On en entend parler partout, au quotidien, entre autres, dans les médias traditionnels. Et disons que, vu de l’extérieur, ça fait peur.
Cette violence constante mine profondément les gens. Certaines personnes y ont clairement perdu des plumes, voire leurs ailes, d’autres, des individus autrefois lumineux, se sont assombris sous nos yeux. Et même que, dans certains cas, on ne les reconnait plus.
La pandémie, on le sait, a affecté le moral de tous, en plus d’exacerber les problèmes de santé mentale. Pas seulement les troubles d’anxiété et de dépression, mais aussi toutes ces petites failles, ces vulnérabilités et ces névroses que nous portons en nous. Les défauts, les faiblesses, les tendances, les obsessions, les suspicions, les compulsions et les fortes propensions de tous et chacun ont pris de l’ampleur, en plus de cette violence en dormance quasi permanente qui remonte à la surface.
Car si les êtres humains sont des animaux sociaux, rappelons que les animaux sont dotés de pulsions agressives vitales. Et les nôtres ne s’expriment pas toujours adéquatement dans nos relations avec les autres.
Or, n’est-il pas étrange de constater que ces outils, qui devaient d’abord servir à réseauter et à socialiser, sont trop souvent employés pour menacer, pour ridiculiser, pour miner la vie d’autrui, telles des armes de destruction sociale massives ?
N’est-il pas désolant d’observer que des individus d’une société dite civilisée en arrivent à ne plus se parler ni même se saluer dans la vraie réalité, mais s’insultent et s’intimident grassement dans la virtualité ?
La violence des propos est telle que peut-être, chers amis, vous ne la voyez plus, pire, ne la ressentez même plus. Vous trempez dedans depuis trop longtemps, depuis plus d’une décennie. Tranquillement pas vite, vous vous êtes habitués tant à ce niveau de langage épouvantable qu’aux interminables et fort cruels dérapages.
Immunité ou désensibilisation ?
Alors que certains affirment fièrement être « immunisés » contre ces attaques personnelles gratuites et barbares, vous semblez plutôt vous désensibiliser lentement. Et ça, humainement parlant, c’est plutôt inquiétant, voire dangereux, et ce pour toute la société.
La sensibilité est non seulement la base de la perception humaine, le fondement de l’intelligence humaine – cognitive, émotionnelle, corporelle et les autres –, mais la racine par laquelle l’écoute, la compassion, la générosité et l’empathie sont possibles.
Sortez vite des égouts sociaux, chers concitoyens, avant de tous nous emporter dans ce flot écumant de violence.
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« Être roi de ses humeurs, c’est le privilège des grands animaux. »
- Albert Camus, La chute (Gallimard, 1956)