Il a bien fallu s’abonner à ce satané Netflix (ne serait-ce qu’un mois) pour voir la série documentaire portant sur le pédophile milliardaire et brillant manipulateur, Jeffrey Epstein : Filthy rich.
Et puis est ensuite arrivé le film documentaire Athlete A (c’est ainsi qu’ils attrapent tout le monde, j’imagine) qui retrace pour sa part le parcours d’une poignée de journalistes du Indy Star enquêtant sur ces nombreuses allégations d’agressions sexuelles du Dr. Larry Nassar, commises sur plusieurs gymnastes américaines.
Contrairement au pédophile milliardaire Jeffrey Epstein, qui finançait lui-même son réseau de services sexuels composé majoritairement de mineures à même sa richesse, sa malhonnêteté et ses menaces, le « bon docteur » Larry Nassar, lui, travaillait pour une puissante organisation, jouissant d’une glorieuse réputation et, du même coup, d’un important financement, Team USA Gymnastics.
Tout scandale au sein de cette organisation aurait automatiquement fait voler en éclat, et leur brillante image internationale, et le précieux financement provenant notamment de plusieurs commanditaires majeurs.
Et c’est ce que les journalistes nous démontrent, tout au long de ce film éclairant, la véritable cible n’ayant jamais été Larry Nassar lui-même, mais bien, en réalité, l’organisation entière, incluant la haute direction de USA Gymnastics qui ferma les yeux sur ces allégations, en plus de punir sévèrement les athlètes qui osaient parler.
Des athlètes, vous dites ? Tout à fait. Elles font d’impressionnantes pirouettes, ces gymnastes, des performances athlétiques époustouflantes. Mais ce sont aussi, comme le souligne très bien le documentaire, des fillettes.
Les athlètes-fillettes
On apprend également, dans Athlete A, un détail particulièrement intéressant : les gymnastes auparavant, il y a de cela quelques décennies déjà, étaient des femmes, et non pas des gamines.
En effet, c’est après le passage très remarqué de la jeune Nadia Comaneci,
14 ans, lors des Olympiques de 1976 à Montréal, que l’on recrute les athlètes de plus en plus jeunes. Pour la plupart, il s’agit donc de mineures, de très jeunes filles comme des ados, et donc, comme toujours, beaucoup plus faciles à dominer, à contrôler, à manipuler et, ultimement, à abuser.
En voyant ces images d’athlètes-fillettes, durant ces entraînements physiques fort exigeants, on ne peut s’empêcher de tracer un parallèle entre cet univers hautement toxique qu’on nous présente de la gymnastique, et celui, tout aussi malsain, du milieu du ballet classique, voire de la danse en général.
Là encore, dans ce cercle hermétique, où l’on recrute les danseuses de plus en plus jeunes, les abus de pouvoir, la violence verbale, physique et psychologique, le contrôle du corps des jeunes filles, les troubles alimentaires, de même que les agressions sexuelles sont monnaie courante.
Au Québec aussi, il y a eu un « bon docteur » qui prenait soin de la santé et du corps de nombreuses danseuses, le Dr Roger Hobden, médecin et ostéopathe, qui plaida lui-même coupable, en 2016, à des accusations d’exploitation sexuelle sur une mineure. (À ce propos, lisez Attrapez-les par la chatte, La Presse, 18 oct. 2016, et, Le #moiaussi de la danse, La Presse, 31 oct. 2019.)
Ces scandales diffèrent grandement, me dira-t-on, en nombre de victimes par exemple… Or, qui sait combien de jeunes femmes ont réellement été abusées lors des « traitements » du Dr Hobden ? Qui plus est, une seule victime n’est-elle pas déjà une victime de trop ?
Car le cœur de ces histoires, de ces scandales, lui, demeure essentiellement le même.
Similairement à Larry Nassar, Roger Hobden a lui aussi bénéficié, non seulement de l’omerta qui règne dans ce petit milieu fermé fort toxique pendant des années, mais aussi du soutien d’« une douzaine de personnes influentes dans le milieu » de la danse, dont certaines qualifièrent même ces gestes abusifs crapuleux de simples « pelures de banane ».
Au nom de la « bonne réputation » du docteur, de même que la protection de quelques relations professionnelles fructueuses, plusieurs personnes en position de pouvoir dans le milieu de la danse (producteurs, diffuseurs, directeurs, professeurs à l’université, etc.), ont eux aussi soutenu cet abuseur, en plus de dénigrer l’expérience traumatisante des victimes. (Notons au passage que le docteur pratique toujours aujourd'hui – Un médecin radié pendant 15 mois reprend sa pratique; Radio-Canada, 29 juillet 2018)
Or, on le sait plus que jamais – et on le voit encore ces temps-ci –, la vérité finit toujours par sortir, par trouver la lumière, éclater au grand jour.
Souhaitons donc cette libération au milieu de la danse, comme à tous les autres d’ailleurs, afin qu’ils parviennent enfin à « faire éclater l’omerta qui plombe cet environnement jugé toxique ».
Mais, malheureusement, ça risque d’exiger toute une gymnastique et beaucoup, beaucoup d'acrobaties.
Photo : S. Marchand, « Le Stade après l'orage », Montréal, 31 juillet 2020.