Chaque jour « que le Bon Dieu amène », ils sont là, à l’entrée du métro, tant en haut qu’en bas des escaliers. Ce sont tantôt des Catholiques, tantôt des Témoins de Jéhovah, ou bien des « Hare Krishna », avec leur Bhagavad-Gita, leur musique hallucinante, répétitive, quasi-psychédélique. Si l’amour est dans le pré, chers amis, la détresse humaine, elle, habite clairement en ville…
« Jésus vous aime », nous interpellent des femmes haïtiennes en sortant du bus, tandis que les usagers pressés tentent de se frayer un passage jusqu’à l’escalier. L’une d’entre elles insiste, s’approche de moi pour mieux marteler son message : « Savez-vous, madame, que Jésus vous aime ? » C’est écrit, en plus, sur le dépliant qu’elle me tend, alors c’est sans doute vrai.
« Merci madame, mais non merci. »
Une fois rendue en bas, ce sont ensuite des Témoins de Jéhovah qui sont encore là, dans le long corridor, flanqués d’une imposante colonne de brochures créationnistes colorées, comme « Tour de garde », disponibles en plusieurs, plusieurs langues différentes. C’est tout de même impressionnant. Ça envoie un signal « fort ». C’est « internationale », leur affaire. Ils sourient, ils ont l’air drôlement gentil.
Étrangement, ceux-là se tiennent à côté de la pancarte publicitaire « Origines », ces temps-ci, « un voyage de 4,5 milliards d'années », « une exposition de photographies inédites, qui évoque dans un foisonnement d’images extraordinaires, l’évolution et la vie sur notre planète », à l’affiche au Planétarium de Montréal jusqu’en janvier 2021…
« Ils n’ont clairement pas pensé à leur image marketing, ai-je songé en passant à côté, ni au message contradictoire que cela projette. "Réveillez-vous ! ", bon sang ! »
Eux aussi ont une « bonne nouvelle » à nous annoncer : la fin du monde s’en vient. Enfin. L’Armageddon tant attendu, celui qu’on nous prédisait dans les années 70, 80, 90, 2000, vous vous souvenez, devrait finalement arriver.
Sauf que là, les « TJ » pourraient très bien avoir raison, mais pas nécessairement pour les bonnes raisons.
La fin du monde s’en vient sûrement, mais ce ne sera pas à cause du « combat ultime », de cette lutte finale entre le Bien et le Mal. Ce sera tout simplement à cause de la bêtise humaine, pleine, grosse, épaisse qu’est cette bête ignoble, sordide et immonde, gavée à la surconsommation.
Ce sera à cause de cette immense machine capitaliste huilée au marketing et au brainwashing, fabriquée de toutes pièces pour enrichir les mieux nantis, les CEO, les actionnaires et les précieux gens d’affaires de ce monde. Et c’est aux mains de cette bête inconsciente et extraordinairement insensée que nous périrons tous, riches, pauvres, consommateurs-experts, pratiquants de la simplicité volontaire comme involontaire.
Dans un tel contexte, sans doute serait-il préférable, voire beaucoup plus rassurant et apaisant pour mes nerfs, de croire que, effectivement, Jésus m’aime. Mais ce serait là abdiquer, me soumettre à une autorité, religieuse en l’occurrence.
Construites par et pour des hommes, et donc foncièrement misogynes, sexistes et exécrables, les religions servent d’abord et avant tout de « bouillon de poulet pour l’âme ». Encadrant la vie, la pensée, les mœurs comme les codes de la « bonne conduite », les religions apaisent, dans certains cas, les esprits torturés et soulagent l’anxiété par la pratique et la répétition en boucle des mêmes prières, des mêmes gestes, des mêmes rituels. Quel puissant baume anti-anxiogène, quelle jouissance pour les obsessionnels !
Or, pour ma part, je ne souhaite aucunement être apaisée ni même rassurée. Bien au contraire. Ma foi réside dans la révolte, la rébellion, la dissidence constante.
« Révoltez-vous ! », doux Jésus…
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« Quel que soit l’objet d’une foi, elle est un accord donné à quelque chose qui n’est pas démontré et ne peut l’être. »
– Pierre Vadeboncœur (1920-2010), Essais sur la croyance et l’incroyance (2005)