Voilà trente ans, cette année, que je suis débarquée à Montréal. Pu capable, je n’en peux plus, j’en ai marre. Trop de monde, trop de chars, trop de bruit, trop d’abrutis… Entendez-vous, vous aussi, tout ce tapage, ce bourdonnement incessant ? Ou est-ce seulement dans Hochelag’ que ça se passe ? C’est éreintant, étourdissant, ahurissant sans bon sens. Juste du bruit pis du maudit chialage. Les gens parlent constamment dans ce presque-pays, mais les bottines, elles, suivent rarement les babines.
Peut-être que je devrais tout simplement déménager, changer à nouveau de quartier, voyager, aller voir ailleurs si j’y suis. La vie est-elle moins pénible au soleil dans Westmount, Outremont ou sur le chic Plateau ? Euh… quand t’es pauvre, I don’t think so.
En fait, je rêve sans cesse d’être ailleurs, de partir pour mieux revenir, ou même de me bricoler carrément une autre vie, loin d’ici. Ailleurs. Oui, je cherche ma Gaspésie… (Lire Trouver sa Gaspésie de Patrick Lagacé)
Je me mets soudainement à fantasmer d’une autre île, plus chaude, moins populeuse, moins polluée, et surtout plus sympathique, plus calme, plus tranquille, là où les voisins se saluent encore, s’apprécient, se visitent même pour siroter un café et papoter de leur quartier.
J’ai une île en tête - c’est mon presque-secret -, j’y rêve parfois. Souvent même. Je me surprends à rêvasser : « Un jour, simonac, un jour… » Oui, un jour, je sacrerai mon camp d’ici. Survivre ici ou ailleurs, sincèrement, qu’est-ce que ça change ? Il n’y a pas vraiment de différence, sauf peut-être la langue.
Et ici, tout va trop vite. Tout le monde coure tout le temps. Ça coure, ça coure, ces gens, inconsciemment et dans tous les sens. Vous allez où au juste, sacrament ? … Vous vous courez après la queue, hein c’est ça ? Ça m’énarve. Chu pu capable. Je suis à boutte, viarge…
Je rêve aussi, par moments, de m’isoler dans un recoin de pays, quelque part sur le bord de l’eau, entourée d’arbres, de plantes, de chiens, de chevaux, bref, de la vraie nature - pas d’un ridicule tapis vert en plastique sur le balcon en guise de « verdure » – survivre ainsi, comme une vraie sauvage, dans une vieille cabane abandonnée, recluse, loin du monde et du bruit.
Je rêve de longs silences ininterrompus, de pauses-café perturbées par des grands vents qui dansent et des oiseaux qui chantent en passant.
Plus souvent qu’autrement, en fait, je rêve d’être ailleurs. Car lorsque la vie est pénible, misérable et merdique à mort là où tu te trouves, ailleurs, ça doit forcément être meilleur, pas vrai ?
Ailleurs : Adverbe de lieu signifiant que le procès s'accomplit dans un endroit quelconque et indéfini à l'exclusion du lieu où se trouve le locuteur.
Voilà, c’est sans doute ça, le vrai problème : la locutrice elle-même. C’est mon propre tapage intérieur qui m’écœure, ma propre impatience qui m’énarve, mon propre désir qu’une vraie Révolution éclate ou même juste que les vents tournent, changent de direction qui m'exaspère.
Je rêve d’être ailleurs, mais surtout loin de moi-même... « C’est où ailleurs, docteure ? »
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À défaut de trouver du monde pour faire une Révolution tapageuse et retentissante, je me suis lancée, depuis peu, dans La Révolution du silence de Krishnamurti. On verra si je trouve la paix… ou bien si je repars en guerre.
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Photo: Sylvie Marchand, pièce de l'installation Dans ma cour !, Place des Festivals, Montréal, jusqu'au 27 mai. Beaucoup de beaux tapis verts en plastique... La nature en ville, quoi.