J’avais 5 ans et c’était clair comme de l’eau de roche. Je me rappelle même où cela s’est produit, dans la cuisine de la maison rouge – il y a eu la rouge, la blanche et la grise, la maison de la mort.
Appelez ça une révélation, une épiphanie, l’instinct, l’intuition, le destin, un « foudroiement karmique » ou autre, cela n’a aucune importance, car, du haut de mes 5 ans, j’avais déclaré en mon for intérieur : « Moi, je n’aurai jamais d’enfant ». Dans ma tête, mon corps, mon esprit, mon âme, ce dossier était réglé une fois pour toutes, et je n’avais même pas encore commencé la maternelle… Erreur ! Ce fût en réalité, et à l’inverse, un dossier particulièrement pénible à traîner, à plaider, une vie durant.
Car par la suite, j’ai passé mon enfance, ma puberté, mon adolescence, ma vie de jeune adulte et de femme adulte, bref toute ma vie quoi – contrairement à mon frère jumeau, soit dit en passant -, à devoir me justifier, à rendre des comptes à qui mieux mieux, de parfaits inconnus plus souvent qu’autrement, en plus de subir leurs interrogatoires, leurs questions intrusives, leurs commentaires insidieux, leurs jugements de valeurs désobligeants et autres âneries de ce genre.
Pendant plus de trente ans, en effet, on m’a cassé les oreilles sur le pourquoi, le quand, le « comment ça » et le pourquoi pas… « Je ne veux pas d’enfant », répétais-je sans cesse, sûre de ma shot, pour ensuite me faire regarder de haut, les yeux remplis de mépris, de jugement, d’incompréhension, d’interrogations, de soupçons. Évidemment, une femme qui ne désire pas avoir des enfants est nécessairement suspecte, une « méchante » femme, une égoïste, une frivole, une mal-aimée, une mal-baisée, une carencée, une déséquilibrée, une écervelée, une femme tellement « mauvaise » à l’intérieur somme toute, que même son utérus refuse d’enfanter, de donner la vie. Pauvre femme, méchante femme…
Un gars qui ne veut pas d’enfants, lui ? Bah, y'a rien là. On s’en fout, on passe sans sourciller à un autre appel : « Pis, t’as-tu r’gardé le match des Canadiens hier soir ? » …
On m’a également servi, au cours de ma vie, des explications sur ma condition, ou encore des pseudo-menaces : « Un jour, tu vas le regretter. Tu vas voir… » « Hum, hum. » On s’époumonait aussi, parfois, à m’expliquer ce qui se passait dans ma vie : « C’est parce que t’as pas rencontré l’bon gars encore. Quand tu vas le rencontrer, tu vas voir, tes ovaires vont s’faire aller ! » « Ah ouin ?! Pas comme l’utérus dans les cas d’hystérie, j’espère ? » (Une femme qui dérange est forcément dérangée)
La meilleure ? « Attends, tu vas voir, l’appel va venir. » « L’appel ? De qui ? De Dieu ? Pas de Marie de l’Incarnation toujours ? »
Pendant plus de trois décennies, on m’a étalé des théories et toutes sortes d’explications à la con, tout aussi saugrenues, farfelues ou ridicules les unes que les autres, sur l’instinct maternel, la fonction utérine, la profonde et réelle nature féminine, les phéromones, ou mon homosexualité prétendument « caché » ou inavoué (une femme qui ne veut pas d’enfants doit nécessairement être lesbienne. Or, il y a des lesbiennes qui désirent avoir des enfants, donc, ça ne tient pas plus la route cette explication-là…)
En fait, on cherchait LA raison, la cause, une justification quelconque qui tiendrait deboutte et la route. En vain. « Je ne veux pas d’enfant, tout simplement. Calmez-vous le pompon avec ça, sacrament ! »
Et même que, pour la petite histoire - et question de clouer le bec une fois pour toutes à celles et ceux qui m’ont emmerdée avec ce maudit dossier déjà réglé -, je peux vous dire que le « bon gars », je l’ai rencontré, imaginez-vous donc, dans ma belle vingtaine. Je lui ai dit dès le début, pendant et à la fin de la relation que je ne voulais pas d’enfants, et ce, dans trois langues distinctes. Après quelques années, il a finalement compris et il est allé en faire ailleurs, des enfants. Beaucoup même. Tant mieux pour lui, il en voulait. Moi pas.
Je peux aussi vous confirmer avec certitude que mes ovaires sont demeurés tout à fait calmes et tranquilles durant toutes ces années… N’importe quoi, bande de niochons.
Et aujourd’hui, à 49 ans, je peux également affirmer que non, je ne regrette rien, rien de rien. J’étais sûre de mon affaire à 100%, pendant toutes ces années. Aucun doute ne planait nulle part, sauf dans votre regard. Mais qui croit les femmes lorsqu’elles parlent, lorsqu’elles disent haut et fort leur vérité.
J’ajouterais même que je suis pas mal fière de moi, oui, fière de ma shot, de ne pas avoir cédé à la pression sociale – pire que Facebook c’t’affaire-là -, et d’avoir assumé ma nature profonde.
Car la Nature, oui la Nature avec un grand N, si on l’écoute, c’est plus fort que tout. C’est l’essence même de la vie. C’est une intime conviction, un savoir inné, simple, clair, intrinsèque. La Nature parle. Il s’agit juste de l’écouter, de l’assumer, de s’assumer quoi, ni plus ni moins. C’est là que le vrai travail commence : accoucher de soi-même.
Un pommier, ça fait des pommes. Un bananier, ça fabrique des bananes. Une nullipare, eh bien, ça ne fait pas d’enfants, tout simplement. Revenez-en. C’est dans la nature des choses, des gens, des êtres, des organismes vivants d’être soi-même. C’est tout ce qui compte dans la vie, respecter la nature comme sa vraie Nature.
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« Ce n’est que maintenant, surtout après cette chimère qu’a constitué mon mariage, que je commence à comprendre qu’il n’y a rien de plus stérile que de vouloir être ce que l’on n’est pas par nature. » - Tchaïkovski (1840-1893)Dans Tchaïkovski, de Jérôme Bastianelli (Actes Sud, 2011, p.103) - Le Lac des cygnes, ou, le drame de Tchaïkovski