« Si une femme a du génie, on dit qu’elle est folle. Si un homme est fou, on dit qu’il a du génie. » - Louky Bersianik (1930-2011)
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C’est bien connu, les hommes qui possèdent un talent exceptionnel dans un domaine quelconque sont d’emblée perçus comme des génies, généralement identifiables à leur nom seul; Newton, Beethoven, Darwin, Einstein, Freud, nommez-en, la liste est plutôt longue.
On y ajoutera Steve Jobs (qui avait d’ailleurs exigé d’avoir le même biographe qu’Einstein, Walter Isaacson), Stephen Hawking, Elon Musk, et bien d’autres encore, célébrés partout pour leurs idées « révolutionnaires » - certaines complètement absurdes, comme investir des milliards de dollars pour aller sur Mars alors que la Terre périclite, mais bon, c'est lui le génie ça l'air.
Du côté des femmes toutefois, ça se gâte. Outre Marie Curie, il est difficile de nommer des femmes reconnues génies par ses pairs. L’Histoire (His story) les a souvent écartées, discréditées ou ignorées, lorsque leur nom a simplement été mentionné. Encore faut-il qu’elles aient eu le droit d’aller à l’université (voir Les femmes sont des êtres humains – 5 nov 1906).
Et dans la catégorie « Histoires de folles et de génies », le septième art en rajoute incessamment. Tout le monde se souviendra de Rain Man (1988), l’histoire d’un homme autiste possédant un don extraordinaire en mathématique, rôle pour lequel Dustin Hoffman (acteur récemment accusé d’inconduite sexuelle par plusieurs femmes) obtint l’Oscar du meilleur acteur en 1989.
Un autre classique, A Beautiful Mind (2001). Non seulement John Forbes Nash était fonctionnel et talentueux, alors qu’il souffrait de schizophrénie, mais il était « un homme d’exception » (traduction française), ayant reçu le prix Nobel d’économie en 1994. Le long métrage a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur film, et si Russel Crow n’a pas reçu l’Oscar du meilleur acteur, alors qu’il était en nomination, c’est sans doute parce qu’il l’avait remporté l’année précédente pour Gladiator (2000).
Notons d'ailleurs qu’il semble particulièrement profitable pour les acteurs de jouer des savants fous, et les actrices des folles à lier. Soulignons l’Oscar de la meilleure actrice pour Natalie Portman dans le rôle d’une ballerine anorexique qui s’automutile tout en dérivant mentalement dans Black Swan (2010) (voir Les pieds écarlates). Ou encore le César de la meilleure actrice à Isabelle Adjani pour son interprétation de Camille Claudel (1988), la célèbre artiste-sculptrice, égérie de Rodin, qui termina sa vie, on le sait, à l’asile.
Plus récemment, on ajoutera à la liste le film The Accountant (2016) dans lequel l’acteur américain Ben Affleck y incarne le rôle peu crédible d’un comptable autiste, Christian Wolff, ceinture noire en chiffres et en Tae-quelque-chose. Fait particulièrement intéressant dans ce film arrangé avec le gars des vues, le personnage fictif masculin devient hautement fonctionnel tandis que la jeune fille autiste, elle, Justine, demeure pour sa part dysfonctionnelle sa vie durant. On la retrouve en effet à la fin du film dans le même état précaire - alors que son père, soit dit en passant, est un spécialiste des troubles envahissant du développement. Comme quoi il y a peu d’espoir pour les filles atteintes d’un trouble quelconque… surtout à côté d’Affleck.
Steve Jobs, pour sa part, allait présumément travailler pieds nus, sans se laver, exhibant un caractère explosif accompagné de comportements erratiques, et parfois même violents, envers ses collègues. Il fut néanmoins célébré à sa mort, en 2011, comme « un visionnaire, un créateur de génie ». Une femme innovatrice aurait-elle pu agir de la sorte et poursuivre une brillante carrière? Permettez-moi d'en douter.
Depuis des lustres, les comportements irrationnels, désorganisés ou même psychotiques chez l’homme sont tolérés, voire acceptables, dans la mesure où ils manifestent un trait « exceptionnel », une qualité « extraordinaire ». De toute évidence, l’irrationalité masculine évoque inlassablement la créativité, le génie, la capacité à penser « en dehors de la boîte ».
Chez la femme toutefois, eh bien juste une « maudite folle, attachez-la quelqu’un », histoire de la garder, elle, dans la boîte (à ce propos, voir aussi La danse, la folie et les femmes). Mais les temps changent, tranquillement. Lorsque ce sont les femmes qui racontent les histoires, les écrivent, les réalisent, les produisent.