La honte d'être pauvre au Québec
Mon sinueux et lamentable parcours socio-économique n’a absolument rien de singulier. Nous sommes des dizaines, voire des centaines de milliers de Québécoises* à s’être appauvries au cours de la dernière décennie, survivant péniblement grâce à un mince fil social – ne cherchez plus le filet, il a complètement été démantelé - et, pour ma part, Moisson Montréal et les différents organismes qu'il dessert. (Parlant de dessert, c'est habituellement du yogourt passé date. On n'en meurt pas, ça l'air.)
Le sentiment qu'éprouvent les pauvres - et contre lequel je me bats constamment? La honte. Et que provoque la honte chez l’être humain? Eh bien, elle le réduit au silence. Demandez aux enfants abusés, aux femmes violentées, bref, à tous ceux et celles qui ont connu l’abus de pouvoir, l'injustice, la violence, et autre idiotie relevant incontestablement de la bêtise humaine.
Parlez-en aussi à toutes ces femmes que je croise ici et là sur le terrain de la pauvreté et de la précarité croissante - vous savez? celle post-récession-post-crise-économique-2008 (supposément terminée) -, des femmes de toutes les générations, souvent scolarisées, immanquablement surqualifées, sous-payées et tout simplement essouflées, découragées, écoeurées et à bout de nerf.
Comme cette autre Sylvie, rencontrée récemment, 38 ans elle, serveuse dans un resto malgré son bac et sa maîtrise en philo, qui se confie dans un moment de pur découragement, levant d'entrée de jeu le voile de la honte : « Il me reste 500$ dans mon compte de banque, crisse! Je suis à boutte de ma job... La précarité, l'austérité - pfft! - chu pu capab'. »
J'ai failli lui offrir un de mes yogourts périmés en guise de remerciement. En lieu et place, on a jasé, ri un brin (jaune par moment), pour ensuite reprendre chacune le chemin de notre p'tite misère made in Quebec, sous ce régime néolibéral sans merci.
Un choix, vraiment?
Pourtant, contrairement aux actes immoraux et criminels commis par tous les abuseurs et de nombreux politiciens corrompus, n’éprouvant pour leur part une seule once de honte ou même de remords - encore faut-il en être capable -, la pauvreté, elle, n’est pas un choix. La dignité humaine ne devrait pas l’être non plus.
Mais ça, ce sont des mots qui touchent les gens durant le temps des Fêtes seulement. Maintenant, il faudrait également demander ce qu’en pense cette femme septuagénaire de mon quartier qui vole à l’épicerie de quoi manger… Nerveusement, j'ai détourné le regard, me demandant en mon for intérieur, appauvri lui aussi par ces interminables et opressantes mesures austères qui s'acharnent sur les plus démunis, les indigents : « Est-ce ce qui m'attend dans 30 ans? »
Pendant ce temps, des milliards de dollars continuent d'être détournés chaque année vers les paradis fiscaux. Tout le monde le sait, mais rien n'est fait, par manque d'audace et de vrai leadership. (Pour observer de près la mollesse du gouvernement québécois dans ce dossier, visionnez la présentation de l'admirable compatriote, monsieur Alain Deneault, à la Commission des finances publiques. Non, ce n'est pas comme regarder des minous et des pitous qui s'amusent sur YouTube, j'en conviens, mais après, on peut regarder ce "chien qui danse" pour se récompenser. Après, j'ai dit!)
Grâce à la magie « des internets », j’ai retrouvé Aldé. Il vit toujours à Trois-Rivières. L'ironie du sort a voulu que ses récentes actions bénévoles servaient à financer Moisson Mauricie / Centre-du-Québec. Bref, on est nombreux au Québec à avoir faim.
Trente ans plus tard, je suis peut-être arrivée nulle part, mais Aldé pis moé, on continue péniblement de se démener. Juste un peu moins optimiste que dans les années 80, mettons.
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*Lanctôt, A. (2015). Les libéraux n’aiment pas les femmes. Montréal: Lux.
NON à la loi 70 / Tous unis pour mettre fin aux paradis fiscaux / Chaque voix compte