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Call me a bitch


En janvier 2001, j’ai fait une de mes manifs-solo comme je les appelle. Le principe est simple, une situation m’indigne profondément, je me lève, je passe à l’action. C’est plus fort que moi, c’est viscéral. Et comme j’emprunte habituellement cette voie…

Cette fois-là, ça se passait au palais de justice de Montréal, durant le procès très médiatisé du boxeur Dave Hilton. Tous les soirs aux nouvelles, on nous montrait le cirque médiatique. Mais ce soir-là, une image en particulier me percuta de plein fouet, une mère avec sa fille de 12 ans demandant un autographe au célèbre boxeur… Le hic avec cette scène ? L’athlète en question était accusé d’agression sexuelle sur des fillettes. À quoi pensent ces gens ? Go figure.

Car pendant ce temps, deux jeunes filles, elles, devaient chaque jour s’ouvrir l’âme, le cœur et les tripes pour raconter leurs histoires d’horreur comme le sont toujours les cas d’abus. L’admiration de l’accusé d’un côté, l’humiliation des victimes de l’autre, ces deux images incompatibles dans ma tête m’insurgeaient au point haut point. C’en était trop, je n’en pouvais plus, oui, je voyais rouge.

J’ai donc mis mes gants de boxe (symboliques, éthiques, moraux, émotionnels, qu’en sais-je) et suis allée jouer dans son ring. Encore une fois, avec de simples bouts de papiers. Faut dire que ça ne prend pas grand-chose pour déranger quand on est une femme (voir Une femme qui dérange est forcément dérangée).

Je venais à peine de distribuer mes premiers tracts - quelque chose comme « S’il s’agissait de votre fille, demanderiez-vous un autographe à l’agresseur ? » – que la foule s’était déjà emportée, me criant des bêtises et des insultes. « Tu t’prends pour qui toé crisse? », « Y’est même pas coupable, tabarnak ! » Et oui, « féministe enragée ».

Les journalistes présents se sont précipités sur mes tracts comme un banc de poissons sur un morceau de pain en haute mer, les caméras se sont ruées ici et là, la sécurité est arrivée, le bordel a pogné, et l’accusé, lui, qui se tenait là à quelques mètres, observait la scène impuissant.

Certains voulaient savoir quelle association de victimes je représentais. Un autre a même plus tard résumé l'affaire : « Une mère de famille s’est insurgée au palais de justice… ». Vérifiez vos faits svp, je suis une fière nullipare, ne représentant aucune association, simple citoyenne. Rien n'a changé depuis.

Je me rappelle également avoir parlé très brièvement de pouvoir citoyen à la journaliste Christiane Desjardins. Pour le reste, pas de nom, pas de commentaire, mon message est écrit noir sur blanc, il ne peut être plus clair.

Quelques heures plus tard, ou était-ce le lendemain, la juge Rolande Matte ordonna à l’accusé de ne plus se pavaner dans les corridors du palais de justice. Monsieur devait se tenir tranquille dans une salle adjacente à la cour. Fini les autographes… Checked.

Plus important encore, un témoignage. Il me vint quelques jours plus tard d’un homme quinquagénaire peut-être que je croisais à l’occasion dans mon quartier. Il s’approcha et se confia sans lâcheté : « J’ai vu à la télé ce que tu as fait… Moi, j’ai été abusé quand j’étais p’tit-gars. Pis ce que tu as fait pour ces victimes, c’est comme si tu l’avais fait pour moi. »

On avait tous les deux les larmes aux yeux. Mais ce n’est pas le pouvoir citoyen ça, c’est celui de la compassion, de l’empathie oui. Ça touche les gens, parfois même, ça guérit.

On sera toujours la féministe enragée de quelqu’un. Mais parfois, sans le savoir, simplement en s’insurgeant, en prenant la parole ou en mettant ses gants de boxe invisibles, on est aussi la défenseure psychique ou symbolique d'un autre.

Quoi ? Je mords fort ? Well, call me a proud bitch then. 

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