La populaire série télévisée «Avant le crash» est terminée. Cette troisième et dernière saison signe la fin de ces amis ultracapitalistes et c’est parfait ainsi. Tout a été bouclé. Par ailleurs, pendant combien de saisons peut-on entamer chaque épisode avec un gros plan sur un homme ébranlé qui nous parle philosophiquement de la vie, du « succès », de la perte de soi et du crash imminent tout en citant Camus ? La recette était excellente pour trois services seulement.
N’empêche, on va s’ennuyer de ces personnages à la fois attachants, imparfaits, grugés par l’ambition et le désir de toujours avoir plus et, surtout, de « gagner ». On a même aimé « détester » certains d’entre eux chaque semaine.
Mais la brillante Évelyne (Karine Vanasse) va nous manquer. Quelle femme ! Si Clara (Valérie Tellos) incarnait la « femme du futur » – la femme libre dans sa carrière, libre dans sa sexualité, libre dans son couple, libre dans toute –, Évelyne, elle, aura été la femme pleinement consciente des limites de l’« amour ». Non, on ne fait pas un bébé pour sauver un couple, et encore moins pour combler le vide existentiel, insatiable, d’un homme profondément blessé par un traumatisme infantile.
« J’ai envie de bâtir, j’ai envie de redonner, j’ai envie d’être père ! » arguait Marc-André (Éric Bruneau). C’est très bien. Mais qui, dans les faits, en portera le poids, la charge et en payera réellement le prix ? Évelyne a donc été la femme qui refusa de « donner » un enfant à son homme pour apaiser sa « blessure narcissique ». Bravo, ma belle.
La charge biologique des femmes
Alors qu’il a beaucoup été question, ces dernières années, de la charge mentale des mères, on semble en revanche avoir oublié une charge tout aussi envahissante, voire encombrante : la charge biologique des femmes. De toutes les femmes.
Donner naissance à un enfant a des conséquences directes et très concrètes sur le corps, la vie, le travail, la « carrière » et les revenus des femmes, des conséquences et des impacts que jamais les hommes ne connaîtront ni n’auront à subir. Porter et donner naissance à un enfant n’est pas une mince affaire. Au contraire. C’est lourd. C’est une charge physique et la plus grande responsabilité qui soit.
Sans la nommer ainsi, cette réalité qu’est la charge biologique des femmes a néanmoins été mise en lumière et exprimée clairement, entre autres, dans le troisième épisode de cette ultime saison, alors qu’Évelyne explique à son chum Marc-André : « Marc-André, j’en veux pu d’enfants. J’ai aucune envie d’être enceinte, aucune envie d’arrêter de travailler. Tu l’sais pas ce que c’est. » Non, il ne le sait pas et ne le saura jamais, d’ailleurs.
Aussi bien intentionnés soient-ils, les hommes n’auront jamais cette responsabilité, le poids physiologique de la grossesse, un fardeau que seules les femmes doivent porter, et ce, de la puberté jusqu’à la ménopause. Notons au passage que le mot « enceinte » en espagnol se traduit par « embarazada » – non, nous ne sommes pas très loin de l’« embarras » en effet dans le sens d’un obstacle dans les faits et la vie des femmes.
Cette charge biologique et physiologique des femmes vient aussi avec d’autres responsabilités. Dès les ménarches (premières menstruations) de la jeune fille de 10-12 ans, en effet, voilà qu’elle a entre les mains et les cuisses la responsabilité de la fécondité, et donc, bien souvent, celle de la contraception. Viennent ensuite la responsabilité de porter physiquement un enfant, l’envahissement corporel ressenti par plusieurs femmes durant la grossesse, la nécessité d’arrêter de travailler pour accoucher, la peur, les phobies et les possibles dangers avant comme pendant l’accouchement, la naissance de l’enfant forcément, l’arrivée du ou des poupon(s) à la maison, les probabilités de souffrir de dépression postpartum, l’isolement à la maison, la charge mentale, les éternelles angoisses de mère, le difficile retour au travail, et le reste, sans oublier toutes les « opportunités de carrière » manquées, surtout dans un milieu aussi cruel et très masculin que le secteur financier – certaines scènes de la série soulignaient brillamment l’éternel boys club.
D’ailleurs, la série «Avant le crash» avait commencé exactement sur une note semblable, alors qu’Évelyne, en congé de maternité, devait négocier son éventuel retour progressif au travail. Encore une fois, c’est son conjoint, l’insupportable et très haïssable François (Émile Proulx-Cloutier) (qu’on a tellement aimé détester à chaque épisode), qui la poussait à retourner au plus vite au bureau… du moins, jusqu’à ce qu’elle obtienne le poste qu’il convoitait jalousement. Soudainement, François se mit à chanter les louanges de la maternité et des mères à la maison pour prendre soin des enfants. « Et vous devriez être payées pour ça, en plus ! » clamait-il. Pour ensuite, quelques mois plus tard, lors de leur séparation, accuser Évelyne sans vergogne d’être une « mauvaise mère ». Pas facile à suivre, man, ton affaire. Mais qu’est-ce tu veux au juste, mon homme ?
La finale de cette excellente série québécoise «Avant le crash» fut hautement (trop?) dramatique. Mais le plus intéressant dans cette chute – hormis le fait qu’Évelyne s’est enfin libérée de tous ces hommes comme de son propre piège –, est de constater que même les amitiés masculines ne peuvent, dans de telles circonstances, tenir le coup. Lorsque des relations humaines sont construites sur de fausses fondations, tenant grâce à de minces fils imbriqués de mensonges, d’hypocrisie et d’interminables trahisons, même une solide amitié entre quatre boys jadis universitaires et maintenant quadragénaires finit par s’effondrer. C’est dans la nature même des choses. Là aussi, le crash était inévitable.
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Image : capture d’écran du site de Radio-Canada
