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« Parlez-vous français ? »


Sans grande surprise, « Le français perd du terrain dans les commerces à Montréal » : « Des données rendues publiques lundi par l’Office québécois de la langue française (OQLF) démontrent que les clients de la métropole québécoise sont accueillis 71 % du temps en français uniquement, une baisse de 13 points de pourcentage en 13 ans. » Une baisse de 13 points, donc, un recul du français notable, en plus du « Bonjour/Hi » qui se répand tel un virus dommageable. 

Mais selon l’Office québécois de la langue française, « [c]ela n’empêche cependant pas les clients d’être servis en français. » Ah non ? Êtes-vous sûrs et certains ? Vous êtes allés où, au juste, pour votre étude ? 

« Toujours selon l’OQLF, seuls 2,6 % des commerçants visités sur l’île dans le cadre de l’étude n’ont pas pu s’exprimer dans la langue de Molière. Dans 7,3 % des cas, l’usage du français a été "provoqué", c’est-à-dire que l’observateur a dû demander d’être servi en français. Pour 90,1 % des usagers, c’est le français qui primait comme langue de service. » 

Pourtant, la réalité sur le terrain semble bien différente dans certains quartiers de Montréal. De fait, dans plusieurs commerces au centre-ville de Montréal, il est impossible de se faire servir en français. C’est la langue de Shakespeare qui domine (ou bien une autre langue). Vous pouvez « provoquer » autant que vous voulez, demander, exiger, supplier d’être servi en français, il n’y aura aucun résultat – à part, peut-être, d’être ridiculisé. Mais qui a peur du ridicule lorsque votre langue et votre culture sont en jeux et, bien souvent, carrément méprisées. 

Entrez simplement dans quelques commerces situés dans l’ouest de la ville et… bonne chance. Plusieurs employés ne parlent aucunement français, ni même la base. Parfois, juste pour être bien certaine, j’insiste néanmoins. « Parlez-vous français ? », demandais-je aux jeunes femmes asiatiques derrière le comptoir d’un restaurant. Elles ne me répondent pas. Elles posent plutôt une main délicatement devant leur bouche et gloussent ensemble. « Hihihihi… » Elles n’ont aucune idée de quoi je suis en train de parler. Elles me regardent comme si j’étais une extra-terrestre (venue de l’est de la ville), une étrangère dans mon propre pays. 

Je me trouve sans doute dans leur quartier à elles (à l’ouest du métro Guy-Concordia, soit dit en passant) où rien, absolument rien ne se passe en français. Je quitte le commerce oriental (situé dans l’ouest de Montréal), en beau fusil. Au diable leurs sushis ! Non, on n’achète rien si un minimum de service n’est pas disponible en français. 

Vous me direz que c’est normal, que c’est ainsi dans l’ouest de la métropole. Si seulement c’était le cas. De plus en plus, l’anglais s’entend partout, perceptible un peu partout, même dans l’est de la ville. 

Un groupe d’étudiantes à la cafétéria de l’UQAM discutent entre elles… en anglais. Non, ce ne sont des anglophones en immersion française. Ça s’entend. 

Même dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, la langue de Shakespeare s’entend de plus en plus fréquemment. Certains commerces dans l’est de Montréal nous accueillent d'ailleurs avec cet insupportable « Bonjour-Hi ». « Heille, le smatte, on est dans Hochelag’, simonac ! » 

Et c’est sans oublier l’anglomanie des (maudits) Français qui trippent sur l’Amérique, qui ont envahi non seulement le chic Plateau-Mont-Royal mais l’île de Montréal au complet, avec leur drugstore, leur people magazine, leur babysitter, leur Master en Marketing et leur « Oh ! So cute, les squirrels! ». Hey-ho, chers cousins français, on parle français icitte, au Québec, « du coup ». Ce n’est pas Paris, ici, bordel. 

Ou encore le populaire « franglais » qui augmente sans cesse, un mélange de langues apparemment très cool chez les jeunes et des pas mal moins jeunes, comme « Il m’a assault », « J’étais vraiment overwhelmed », « Mon boss was like … comme genre… so mean » ou « I'm like... j'sais pas » 

Aïe, aïe, aïe, mes oreilles. J’ai mal à notre langue. J’ai mal à notre culture québécoise. Vivement un pays.
 
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Photo : Sylvie Marchand, « 132 drapeaux du Québec au stade, 75 ans du fleurdelisé », Montréal, juin 2023

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