Un de mes voisins adore son char. Il aime en fait leurs deux voitures – le couple en possède chacun une – mais il affectionne plus particulièrement son véhicule à lui, une mini-fourgonnette Dodge Grand Caravan bourgogne et ringarde qu’il nettoie plusieurs fois par semaine, même l’hiver.
Tel un rituel réglé au quart de tour, monsieur sort dehors, prépare son équipement, l’étale au sol. Muni d’une éponge, d’un sceau et d’un long boyau d’arrosoir, il lave soigneusement sa bagnole en l’arrosant abondamment. Il la frotte, la récure, la bizoune ici, l’astique là, passe l’aspirateur à l’intérieur, ouvre bien grandes toutes les portes, l’aère pendant des heures, tout cela en faisant retentir le son de son démarreur à distance plusieurs fois durant l’opération – Bip, bip ! Bip ! … Bip, bip, bip ! … Bip !
« O.k., c’est beau, on a compris. Tu laves ton gros char, mon homme ! », me dis-je à moi-même chaque fois qu’il lave sa maudite van. Oui, il m’énarve.
Mais au-delà de mon aversion pour ce voisin d’en face, une chose est sûre, son comportement relève de la pure obsession. Comme bon nombre de nos concitoyens, cet homme adore son char, symbole suprême de « réussite sociale », de consumérisme à l’américaine, d’autonomie et de liberté. La liberté d’aller et de venir comme bon nous semble, peut-être même de se taper un road trip, son expression ultime. Ah, l’évasion ! Plusieurs publicités d’automobiles, de VUS et de camionnettes reposent foncièrement sur ce concept, faisant miroiter cette possibilité de fuir enfin la ville et le train-train quotidien en s'offrant « l’aventure », le grand air, un accès privilégié à la nature.
Et ce voisin n’est pas le seul, malheureusement. Plusieurs résidants dans mon quartier nettoient encore leur voiture à grande eau, tenant fièrement ce long boyau d’arrosage gorgé d’eau comme s’il s’agissait d’une arme (ou d’un important symbole phallique, mais passons). Ils font de même, d’ailleurs, avec leur espace de stationnement en asphalte… Arroser de l’asphalte, vraiment ? Prends un balai, le smatte ! Non, Elvis Gratton n’est pas mort.
Certains de ces taouins sont même fiers d’eux-mêmes, d’arroser ainsi leur char, leur asphalte ou encore le ciment du trottoir en face de leur maison. Mais à quoi ça sert, bordel, d’arroser un char ? Va-t-il pousser, croître, prendre de l’expansion ? Non ? Juste reluire ? Sortez un petit sceau d’eau, alors, bande de crétins ! Mieux encore, utilisez l’eau de pluie, sapristi !
Socialement, il y a des comportements qui ne passent plus. Non seulement la société a évolué, mais la situation est devenue critique et urgente. Tous les indicateurs des changements climatiques sont au rouge et l’eau potable n’est pas une ressource inépuisable.
Arroser son char ou encore l’asphalte pendant que des régions du monde entier traversent de graves périodes de sécheresse, pendant que, ici même au Québec, des communautés autochtones n’ont toujours pas accès à l’eau potable, relève de la pure arrogance, de l’absurdité, de l’inconscience et du nombrilisme.
Et très bientôt, il faudra interdire, voire rendre illégales, plusieurs de ces pratiques autrefois considérées « acceptables », car devenues obsolètes et abusives. Toute action permettant le gaspillage insensé de nos ressources naturelles, comme arroser son char et l’asphalte, doivent définitivement disparaître.