Passer au contenu principal

La femme-corps


« Être beau, être jeune, être mince… C’pas mêlant, chu toujours au régime ! » 

Cette phrase, de mémoire, était une ligne de la très talentueuse actrice Dorothée Berryman dans Le Déclin de l’empire américain de Denys Arcand, sorti en 1986 – film qui avait violemment pété ma balloune de jeunesse et toute la naïveté qui l’enveloppait. 

On demande sans cesse aux femmes tout cela : de rester belles, jeunes et minces. Malgré tous les progrès des dernières décennies, toutes les avancées féministes, malgré tous les beaux discours, les bonnes intentions, les batailles, les revendications, et ces maigres débuts d’émancipation féminine, on veut voir seulement des femmes jeunes, minces et belles. 

Encore aujourd’hui, au XXIe siècle, la femme demeure un corps, sans plus, dénuée d’intelligence, de créativité, d’expérience. C’est essentiellement une femme-corps. 

Et chaque fois qu’une femme ne correspond pas (ou plus) à ses trois critères bien précis, on la déchire sauvagement sur la place publique. On la dénigre tout simplement, on l’abat symboliquement, on la mutile « formellement » dans l’arène brutale des « égouts sociaux », exactement comme dans le film Gladiator, vous savez, la foule exigeant la mort du « perdant » en exhibant fièrement un pouce vers le bas : « La mort ! La mort ! La mort ! » 

C’est fini. On veut les voir disparaître. 

Ces temps-ci, semble-t-il, c’est au tour de Caroline Néron – (Laissez Caroline Néron tranquille !

Nul besoin de lire les commentaires vils et violents sur les réseaux sociaux – non merci – on peut fort bien les imaginer. Ils portent sans aucun doute sur son apparence, son visage, sa faillite, son âge, sa taille, son corps, ses cheveux, et tout le reste qu’on connaît déjà très bien, nous, les femmes. 

Or pour chaque femme vieillissante, grassouillette, ou dont la beauté se fane doucement à la télé ou dans les médias, il y a un homme âgé, pas du tout gêné, ni dans son cœur ni par la population, avec sa bédaine, ses rides, ses cheveux gris (s’il lui en reste évidemment) qui, lui, passe très, très bien à la télévision et dont personne ne réclame la tête. Il incarne, cet homme vieillissant, l’expérience, la maturité, la crédibilité. 

Mais la femme-corps, elle, étrangement, n’acquiert jamais rien de tout ça, apparemment. 

La réalité est que cette femme que nous ne voulons pas ou plus voir à la télé, dans les médias comme partout dans la société, c’est nous-même. Ces femmes qui vieillissent au petit écran nous renvoie indubitablement à nous tous, femmes et hommes, à notre propre vieillissement, à notre propre finitude, à notre propre mort qui approche chaque jour un peu plus. 

C’est dur, ça fait mal, c’est brutal, d’où ce constant déversement de fiel et de hargne humaines dans les « égouts sociaux ». 

Le combat féministe est loin d’être terminé. Et il nous faudra voir beaucoup plus de ces femmes, moins jeunes, moins belles, moins minces, entre autres à la télé, pour que nous demeurions toutes et tous un peu plus vivants, les deux pieds ancrés dans la vraie réalité. 

*** 

« Avec l’expérience de la vieillesse, les femmes meurent vivantes. » 
– Karine Tuil, dans Les choses humaines (Gallimard, 2019)

Messages les plus consultés de ce blogue

Les Grands Ballets canadiens et la guerre commerciale américaine

La guerre commerciale «  made in USA  » est commencée. De toutes parts, on nous invite à boycotter les produits et les services américains. Quoi ? Vous songiez aller en vacances aux États-Unis cette année ? Oubliez ça ! Il faut dépenser son argent au Canada, mieux encore, au Québec. Dans ce contexte, on nous appelle également à boycotter Amazon (et autres GAFAM de ce monde) ainsi que Netflix, Disney, le jus d’orange, le ketchup, le papier de toilette, etc. – nommez-les, les produits américains –, en nous proposant, et ce un peu partout dans les médias québécois, des équivalents en produits canadiens afin de contrer la menace américaine qui cherche ni plus ni moins à nous affaiblir pour ensuite nous annexer. Les Américains sont parmi nous  Pourtant, les Américains sont en ville depuis longtemps. Depuis 2013, en effet, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) offrent une formation américaine ( in English, mind you , et à prix très fort qui plus est) sur notre territo...

« Femme Vie Liberté » Montréal 2024 (photos)

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour le port « inapproprié » de son voile, le mouvement iranien « Femme Vie Liberté » se poursuit...  ----- Photos  : Sylvie Marchand, Montréal, 15 sept. 2024  À lire  :  Malgré la répression, de nombreuses Iraniennes ne portent pas de hijab ( La Presse , 14 sept. 2024)  Iran : deux ans après la mort de Mahsa Amini, la répression « a redoublé d’intensité » (Radio-Canada, 15 sept. 2024)

«Boléro» (2024), l’art de massacrer la danse et la chorégraphe

  Réalisé par Anne Fontaine ( Coco avant Chanel ), le film  Boléro  (2024) porte sur la vie du pianiste et compositeur français Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) durant la création de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre, le  Boléro , commandé par la danseuse et mécène Ida Rubinstein (Jeanne Balibar). Alors que Ravel connait pourtant un certain succès à l’étranger, il est néanmoins hanté par le doute et en panne d’inspiration.  Les faits entourant la vie de Maurice Ravel ont évidemment été retracés pour la réalisation de ce film biographique, mais, étrangement, aucune recherche ne semble avoir été effectuée pour respecter les faits, les événements et, surtout, la vérité entourant l’œuvre chorégraphique pour laquelle cette œuvre espagnole fut composée et sans laquelle cette musique de Ravel n’aurait jamais vu le jour.  Dans ce film inégal et tout en longueur, la réalisatrice française n’en avait clairement rien à faire ni à cirer de la danse, des fai...

«La Belle au bois dormant», y a-t-il une critique de danse dans la salle ?

«  Sur les planches cette semaine  » …  «  La Belle au bois dormant  est un grand classique et, en cette époque troublée, anxiogène, la beauté des grands classiques fait du bien à l’âme. Particularité de la version que présentent les Grands Ballets à la Place des Arts cette année : c’est un homme (Roddy Doble), puissant, imposant, sarcastique, qui interprète la fée Carabosse, comme l’a voulu la grande danseuse et chorégraphe brésilienne Marcia Haydée » écrit la journaliste Marie Tison, spécialiste en affaires, voyage et plein air dans La Presse .  Qu’est-ce qui est pire ? Une compagnie de ballet qui produit encore des œuvres sexistes et révolues ? Un homme qui joue le rôle d’une femme (fée Carabosse), rôle principal féminin usurpé à une danseuse ? Ou une journaliste qui ne connait absolument rien ni à la danse ni aux œuvres du répertoire classique, incapable du moindre regard ou esprit critique, qui signe constamment des papiers complaisants de s...

Je me souviens... de Ludmilla Chiriaeff

(photo: Harry Palmer) La compagnie de danse classique, les Grands Ballets canadiens, a été fondée par une femme exceptionnelle qui a grandement contribué à la culture québécoise, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), surnommée Madame. Rien de moins. Femme, immigrante, visionnaire Née en 1924 de parents russes à Riga, en Lettonie indépendante, Ludmilla Otsup-Grony quitte l’Allemagne en 1946 pour s’installer en Suisse, où elle fonde Les Ballets du Théâtre des Arts à Genève et épouse l’artiste Alexis Chiriaeff. En janvier 1952, enceinte de huit mois, elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs deux enfants – elle en aura deux autres dans sa nouvelle patrie. Mère, danseuse, chorégraphe, enseignante, femme de tête et d’action, les deux pieds fermement ancrés dans cette terre d’accueil qu’elle adopte sur-le-champ, Ludmilla Chiriaeff est particulièrement déterminée à mettre en mouvement sa vision et développer par là même la danse professionnelle au Québec : « Elle p...